L'Incroyable Femme des neiges de Sébastien Betbeder (2025).
Notes de novembre.
5 novembre
Revu Un flic sur le toit de Bo Widerberg (1976), un film vraiment extraordinaire, digne des meilleurs polars américains, ceux à dimension politique (le film est une critique féroce de l'appareil policier). Ça commence par une séquence de giallo, se poursuit à la manière d'un Derrick (en plus drôle) et se termine comme un Don Siegel (mais sans Madigan et autre inspecteur Harry). La dernière partie est fabuleuse. J'ajouterai que le couple formé par Carl Gustaf Lindstedt (qui ressemble à feu Michel Ciment) et Håkan Serner, deux acteurs de séries télé (et de théâtre), est particulièrement savoureux.
12 novembre
Un vrai bolchevik. Sur Deux Procureurs de Sergei Loznitsa.
13 novembre
Quand l'Incroyable Femme des neiges démarre, on craint le pire tant le film a tout du "rendez-vous en terre inconnue" avec Blanche Gardin en (feu?) reine du stand-up, partie à la rencontre du peuple inuit. Ce qui fait qu'on pense aussi à son sketch sur les "réfugiés climatiques" et l'Inuit dont elle dit qu'avec sa capuche pleine de poils et ses grosses lèvres "on dirait mon cul quand j'ai bouffé indien"... Pas de quoi être rassuré, aussi vrai que si on se retrouvait devant un ours en furie ou un yéti complètement bourré. Alors? Eh bien, de cette incroyable patchwork, genre film-tupilak, qui mêle le show documentaire à la comédie-concept (de Nicloux à Dupieux en passant par Delépine et Kervern), l'empathie gnangnan (France TV) à l'humour potache (Canal+), se dégage pourtant une étrange et douce poésie, qui est celle du qivittok, derrière lequel se dessine une forme d'autoportrait, non pas de l'auteur (Betbeder) mais de Blanche Gardin herself, via tout ce que le personnage ("une bipolaire spécialiste des pôles") semble refléter de l'artiste et de ses fragilités, notamment dans son rapport aux autres, qu'ils soient loin (là-bas au Groenland) ou proche (les deux frérots du Jura, incarnés par Katerine et Bouillon)... Et à l'arrivée une bien belle émotion.
14 novembre
Ce bel objet formel. Sur A House of Dynamite de Kathryn Bigelow.
21 novembre
Julie (en 5 chapitres) — Revu La mariée était en noir de Truffaut.
Toujours la même perplexité, qui mêle le plaisir à suivre cette intrigue pleine d'invraisemblances (c'est le côté à la fois irishien et hitchcockien, on peut dire "irishcockien", du film) et la gêne ressentie devant le trop grand écart qui existe à mes yeux entre:
1) la dynamique du polar (en l'occurrence américain), dont Truffaut a par ailleurs modifié la structure. (Dans le roman la raison de tous ces meurtres n'est précisée qu'à la fin, laquelle fin se trouve également changée, Julie apprenant de l'inspecteur que ceux qu'elle a tués n'étaient qu'une bande de joyeux fêtards qui passaient là par hasard, en voiture, au moment où le véritable assassin exécutait depuis une fenêtre le mari, lui-même un criminel, dans le cadre d'un règlement de compte. Soit pour Julie la double affliction d'avoir tué des innocents et d'avoir échoué à venger la mort de son mari.)
2) et la typologie des personnages masculins, chacun correspondant à un profil fortement marqué (le baiseur, le vieux garçon, le politicien, l'artiste, le truand), tels qu'on les retrouve dans le cinéma français.
De sorte que l'écart se trouve également marqué entre ces personnages sociologiquement déterminés et l'héroïne à la froideur psychopathique, différente en cela de la belle névrosée chez Hitchcock. C'est aussi que l'évolution du personnage joué par Jeanne Moreau, au début agréablement calqué sur la figure hitchcockienne (Vertigo, Marnie), demeure par la suite trop artificiel (en dépit de la belle partition de Bernard Herrmann), dans ce que le personnage est censé avoir de mystérieux et de fascinant; ainsi quand Truffaut le transforme en pure copie de Tippi Hedren (non plus comme personnage mais comme image iconique, photogénique: l'actrice fantasmée par Hitchcock) lors de la soirée qui prélude au premier meurtre, au point que le mot "apparition" prononcé par Brialy résonne un peu creux (ce que corrigera Truffaut avec Delphine Seyrig dans Baisers volés)... le personnage de Julie manquant par là de ce pouvoir envoûtant que dégageait p. ex. Jeanne Moreau dans la Baie des anges de Demy. Certes le personnage gagne progressivement en incarnation et en humanité, le rendant plus sympathique (surtout dans le chapitre avec Charles Denner, lequel de son côté préfigure l'Homme qui aimait les femmes), mais cette progression reste mal accordée avec l'enchaînement rapide des chapitres (d'autant que certaines scènes semblent par moments littéralement expédiées — je pense entre autres à celle où en deux minutes chrono Julie téléphone à la police pour innocenter, preuves à l'appui, l'institutrice inculpée à sa place).
Le film apparaît ainsi aussi plaisant que bizarrement ingrat, ce dont Truffaut semble avoir été conscient (La mariée serait sa Marnie à lui, non pas un "grand film malade" comme il qualifiait le film d'Hitchcock, mais son petit film malade), le conduisant à adapter de nouveau William Irish, avec la Sirène du Mississippi, mais où cette fois "bonheur et souffrance" seraient du bon côté, celui du héros et non celui, pour le moins frustrant, du spectateur.
27 novembre
La reine des abeilles. Sur Bugonia de Yórgos Lánthimos.
28 novembre
Vie privée de Rebecca Zlotowski. Si le film est plutôt agréable à suivre, il vaut surtout par le duo que forme Jodie Foster avec Daniel Auteuil, l'entrain qu'y instille Zlotowski, moins dans l'esprit des comédies hitchcockiennes ou de la screwball comedy (sachons raison garder) que dans celui des comédies policières de Pascal Thomas (la trilogie avec Frot et Dussollier), ce qui est déjà très bien. On regrettera toutefois que le rythme de l'enquête s'emballe sur la fin, altérant du coup la dynamique de la comédie, que la mise en scène, par ses effets, s'affiche un peu trop, que le scénario, très chargé (l'enquête + le roman familial + le thème du dibbouk...), rende par moments le film confus, et que le discours, très anti-psychanalyse, que le film énonce en filigrane, accumule les poncifs. Finalement ça fait beaucoup.
PS. Le vrai sujet du film, c'est peut-être cela: plonger une actrice américaine (so french mais aussi, forcément, un peu décalée) dans le bain de la comédie (d'auteur) française, aux situations convenues — d'où cette volonté chez Rebecca Z de faire montre d'originalité (un peu trop, je me répète) dans la façon de les traiter.
La mariée était en noir de François Truffaut (1968).
Jeanne Moreau et son portrait par Charles Matton.











