octobre 31, 2025

Du Hong nature

  Ce que cette nature te dit de Hong Sang-soo (2025).

Le nouveau Hong Sang-soo est une pure merveille, un des plus beaux films de l'année, peut-être même le plus beau. Il est dans le même bois, ou plutôt le même os, que les derniers Hong (même si je n'ai pas vu le précédent, By the Stream, honteusement passé à l'as), égrénant par petites touches, avec délicatesse, humour et par moments cruauté (l'alcool aidant), tous ces faux-semblants qui, sous couvert de politesse et autres marques de déférence, vernissent, autant qu'ils les lissent, les relations humaines — Ici à travers la rencontre d'un jeune "poète" (Ha Seong-guk qui tenait déjà ce rôle dans Juste sous vos yeux et De nos jours...), assumant sa vie d'artiste propice à la contemplation (cf. la sublime scène de rêverie poétique à la fin du film) car détachée des contingences matérielles... sa rencontre, donc, avec les parents de sa petite amie.

Ainsi Ce que cette nature te dit s'inscrit-il dans cette dernière période de l'art hongien (qui démarre comme il se doit avec Introduction), marquée par la présence du cinéaste à tous les postes (techniques) du film (pas moins de sept: production, écriture, réalisation, photo, son, montage, musique), dans un souci pas tant de maîtrise absolue que de fluidité créatrice, qui enveloppe chacune de ses petites pièces dans une sorte de cocon esthétique, à la fois minimaliste et intimiste (1), faisant du film un ensemble idéalement rempli, avec tous les ingrédients nécessaires à sa composition, le rendant pour ainsi dire "complet". C'est le sens du mot 자연 (jayeon), "nature" auquel renvoie le titre, la nature, dans son acception classique, ce qui ne relève pas de l'activité humaine, mais surtout en tant qu'ensemble, celui des choses et des êtres, et, plus encore, ensemble de forces, de principes, de caractères... cette nature qui est celle du poète, dont on ne sera jamais avec précision ce qu'il en est (2), comme du père de sa bien-aimée, qui, plus pragmatique, a conçu tous les plans de sa maison. Un ensemble où l'on retrouve à des degrés divers les mêmes éléments que dans les films précédents: là du vert (beaucoup même — le film a été tourné à Yeoju dans la province verdoyante de Gyeonggi, ce qui nous vaudra la visite d'un temple —, prolongeant le vert de la Voyageuse, un vert par instants très flashy, à l'instar de la photo cramée dans la Romancière...), là du flou (comme dans In Water), là des zooms (quoique de moins en moins intempestifs chez Hong), là des "épiphanies" (un coucher de soleil, dans l'esprit "rossellino-rohmérien" de Juste sous vos yeux, et de la Romancière... avec le bouquet de marguerites) et puis aussi, bien sûr, quelques accords de guitare (véritables ponctuations, devenues incontournables dans les derniers Hong — il y a même ici un gayageum, sorte de cithare coréenne), des accords dont on peut dire qu'ils sont comme des petites notes d'épices ajoutées au tournage, lequel tournage semble de plus en plus relever d'un art de la cuisine chez Hong Sang-soo. A ce titre, la "soupe de poulet" (samgyetang) parfumée au ginseng (ce même ginseng que mâchait Kwon Hae-hyo à la fin de Walk Up), accompagnée aujourd'hui non plus de soju mais de makgeolli (alcool de riz beaucoup plus doux, et ça depuis la Femme qui s'est enfuie)... eh bien illustre assez bien ce qu'est devenu l'art hongien. A la fois un cinéma "à cordes", pour ce qui est de la vibration que produisent tous ces jeux d'échos et de rimes, et un cinéma "gustatif", qui se goûte, se hume, dont on se délecte par le simple plaisir que l'on prend (comme chez Ozu) à suivre les rencontres (le cinéma de Hong est un cinéma de la rencontre) que font les personnages, incarnés par les mêmes acteurs/actrices, sur des thèmes très proches (même si variés), dans des lieux qui toujours privilégient l'intimité de la rencontre.

(1) L'intimisme est ici renforcé par 1) les deux rôles masculins qui sont comme des autoportraits de Hong Sang-soo, à travers non seulement Kwon Hae-hyo, son acteur fétiche (véritable alter ego de Hong), même s'il ne joue pas le rôle d'un réalisateur, mais également le personnage du jeune poète qui, quelque part, représente Hong à ses débuts dans le cinéma (à l'âge de 34 ans, ce que symbolise la voiture dans laquelle il roule, une vieille Kia des années 90); 2) le fait que la maison où a été tourné le film est celle-là même des parents de l'actrice Kang So-yi (la petite amie du poète), alors que ses "parents" dans le film sont joués par Kwon et Jo Yon-hee, eux-mêmes couple à la ville.

(2) Surtout après le "test de la bouteille" que lui fait passer à la fin du repas le père (avec un véritable alcool), et dont on ne peut pas dire qu'il le réussit avec succès, y révélant sa vraie "nature" du moins pour les parents (en particulier sa haine du père, avocat célèbre), ainsi qu'il le crie après avoir déclamé, sinon éructé, un de ses poèmes ("la nuit, une fleur éclot..."), complètement bourré, à la fille aînée qui ne cessait de lui rappeler que, quand bien même il revendiquerait une vie de bohème, il pourra toujours compter (matériellement) sur son père. Image possible de l'imposteur ("il n'a pas de talent", finissent par conclure les parents, seuls dans leur cabanon), mais infiniment plus touchante aux yeux de Hong Sang-soo — quelle que soit l'arrogance — que tout ce conformisme de tradition auquel renvoie la famille.