La bugonia ou bougonie, du grec βοῦς (bœuf) et γονή (progéniture), littéralement "progéniture du bœuf", est un rituel sacrificiel rapporté par divers auteurs de l'Antiquité et attribué aux anciens Égyptiens, fondé sur la croyance que les abeilles peuvent naitre du cadavre d'un bovin. (Wikipedia)
Le titre fait écho à un autre film de Lánthimos, Mise à mort du cerf sacré. Il faut dire que l'idée de sacrifice n'est pas étrangère à son cinéma, qui va de pair avec son usage immodéré de l'emphase (du plan large steadycamé au thème musical boursouflé, en passant par les messages surexpliqués, et souvent très cons, où Lántimos n'hésite pas à enfiler ses gros sabots — en Grèce on les appelle tsarouchia — pour qu'on pige bien la fable ou l'allégorie, histoire de mettre les points sur les "i", que dis-je, les poings sur les "y". Bugonia n'y échappe pas. Et pour ce qui est de la "bougonie", ce qui est à sacrifier ici, pour sauver les abeilles (victimes des néonicotinoïdes), n'est plus le bœuf mais l'humanité entière. Vaste programme que seuls des extraterrestres seraient susceptibles d'appliquer. Bingo! Bugonia est le remake de Save the Green Planet!, un film sud-coréen scifi-écolo-horrifique, certes sans abeilles mais avec des extraterrestres (cf. là), la principale différence (outre le fait que c'est une femme — Emma Stone évidemment — le PDG de la firme pharmaceutique que l'autre allumé kidnappe, aidé de son cousin autiste) se situant au niveau du finale. Non pas qu'on y apprenne que Stone était bien une extraterrestre = "andromédienne" (ça c'est dans le film sud-coréen), mais que Lánthimos, fidèle à son cynisme débectant, qui n'a rien de "diogénique" (bien qu'il soit grec), eh bien, substitue à l'incertitude qui clôturait SGP! la "mise à mort" de l'humanité et, par voie de conséquence, une représentation possible de ce que serait, esthétiquement parlant, l'extinction de l'espèce (comparable à ce qu'aurait été celle des dinosaures!), préludant ainsi le retour des abeilles, le tout sur une chanson forcément "mielleuse" ("Where Have All the Flowers Gone?" par Marlene Dietrich).
Or, si le film se révèle au bout du compte raté (comme on pouvait le craindre, connaissant le réalisateur et ses outrances), c'est aussi parce qu'il déçoit, au sens où — pour la première fois (du moins en ce qui me concerne) — une promesse s'y faisait sentir, laissant espérer qu'on tenait là enfin avec Bugonia un bon film de Lánthimos. Et cet espoir (relatif, n'exagérons rien) résidait dans ce qui est le cœur même du film, à savoir l'affrontement entre Emma Stone et Jesse Plemons (déjà vu dans Kinds of Kindness où il tenait le rôle principal), Lánthimos abandonnant, le temps de ces scènes d'affrontement, l'espèce de morgue qui le caractérise (à l'instar d'un Östlund), comme si, dans de tels moments où l'intensité dramatique est à son comble, il arrivait à s'effacer, peut-être sans le vouloir, simplement parce que subjugué, lui aussi, par le jeu des deux acteurs; entre une actrice prête à tous les "sacrifices" (à commencer par celui de ses cheveux d'autant que, le crâne rasé, qui fait davantage ressortir la globulosité de ses yeux, limite lémurien, elle n'a pas l'attrait de ces autres "boules à zéro" célèbres qu'ont été Sigourney Weaver, Charlize Theron, Natalie Portman... mais bon je m'égare) pour traduire toute la rage de son personnage, et en face un acteur campant, lui, avec une rare conviction, ce qu'est, plus encore qu'un paranoïaque qui délire à plein tube, un gros psychopathe enfermé dans une chambre d'écho (comme il est dit dans le film), nourri, via Internet, de post-vérité et autres thèses complotistes... Il y a dans leur affrontement, certes baigné d'horreur postmoderne à la Tarantino, un véritable plaisir de jeu qui confère à Bugonia, du moins dans cette partie du film, un côté purement ludique, sans esprit de sérieux, dont le meilleur exemple est le passage où Plemons teste Stone pour savoir si elle est une extraterrestre en lui balançant dans les écouteurs Basket Case de Green Day (on pense à l'appareil qui sert à détecter les replicants dans Blade Runner), le fait de résister à des décibels poussés au maximum (jusqu'à 400 db?) étant le signe qu'elle est en effet une extraterrestre. C'est con mais c'est marrant.
Le problème est qu'on ne peut en rester là, qu'il faut sortir de la cave, et que Lánthimos malheureusement, une fois sorti, retrouve ses esprits, à l'instar de son actrice fétiche, se révélant incapable, comme toujours, de transcender le grotesque de son récit, qu'il s'agisse de ce qu'offrait le thème de l'abeille, en termes de politique, ou encore l'idée de l'éclipse lunaire (réduite ici à un simple conte à rebours), en termes de poétique. Lánthimos reste Lánthimos. Un cynique au petit pied.

