novembre 02, 2025

Mon journal 10

  Westward the Women de William Wellman (1951).

  Notes d'octobre.

5 octobre
La comédie roumaine. Sur Kontinental '25 de Radu Jude.

7 octobre
Panahi (sans Panahi). Sur Un simple accident de Jafar Panahi.

10 octobre
Dans Convoi de femmes (Westward the Women de William Wellman — wow, ça en fait des "w"!), Robert Taylor est chargé de convoyer un groupe de 140 femmes entre Chicago et la Californie où les attendent leurs futurs époux, des fermiers qu’elles n'ont jamais vus (sinon en photos). Le film est d'une simplicité exemplaire, voire biblique, en tout cas parfaitement linéaire — où l’on n’hésite pas à tuer à bout portant un homme qui a manqué de respect à une femme, ou à assommer une mère qui ne veut pas quitter la tombe de son enfant — car tout entier tendu vers l'objectif fixé: aller au bout de la mission pour atteindre ce finale magnifique qui voit les femmes, fourbues, exiger qu'on leur trouve du tissu pour se confectionner des robes avant de rencontrer ceux qu'elles doivent épouser (la séquence du bal est sublime). Un film à la fois rude et tendre sur le courage des femmes, où tout est dit sans insistance, sans grandiloquence (cf. le moment où les femmes portent le chariot accidenté à l’intérieur duquel une des leurs est en train d’accoucher). Wellman se permet même l’ellipse de la traditionnelle scène d’attaque par les Indiens: c’est pendant que le héros et celle dont il est tombé amoureux (ce qui évidemment l’agace prodigieusement) règlent leurs comptes à l’écart du groupe — ah, la poursuite à cheval au fond d’un canyon et les deux gifles administrées par Taylor à la femme, la première pour avoir "crevé" son cheval, la seconde pour l’avoir forcé à la poursuivre —, pendant ce temps-là donc, que se déroule l’attaque des Indiens, ce qui fait que c’est seulement après coup qu’on en saisira toute la violence, lors de la scène, là aussi d'un lyrisme contenu, de l'appel, où chaque femme rescapée dit à voix haute le nom de celle qui est morte à ses côtés. L’émotion à l’état pur...

12 octobre
Récré à deux. Sur Nouvelle Vague de Richard Linklater.

22 octobre
La Petite Dernière de Hafsia Herzi. Mouais... Du Sciamma à la sauce Kechiche, ça fait bizarre.

30 octobre
Du Hong nature. Sur Ce que cette nature te dit de Hong Sang-soo.

31 octobre
L'Etranger de François Ozon. Ozon serait-il "un cinéaste pour classes terminales"? Si la première partie du film, jusqu'au meurtre de l'Arabe, tient vaguement la route, en dépit du style choisi: noir et blanc classieux et plans tirés au cordeau qui donnent du Alger de l'époque une vision pour le moins aseptisée, à l'image encore des plans sur la plage, sous un soleil de plomb, ce soleil aveuglant, scintillant sur la lame du couteau, qui pousse Meursault au meurtre, plus en adéquation avec le côté minéral du monde tel que le percevait Meursault, pas tant le Meursault de Camus, confronté à l'absurdité du monde (la vie dépourvue de sens, dominée par l'ennui), que celui qui a prévalu par la suite dans la vulgate des programmes scolaires, la figure abstraite de l'étranger en proie au vide de son existence, étranger au monde comme à lui-même... la seconde partie, celle du procès et de l'incarcération (dans l'attente de l'exécution) est un ratage complet, le pompon, dans sa boursouflure bergmano-wellesienne, étant la scène avec l'aumônier qui voit Ozon, tout en respectant le texte, faire de la révolte de Meursault, libérant par la parole cette "vérité" qu'il portait en lui, une sorte de rage écumante (et tout le pathos qui va avec), là où chez Camus se mêlent inextricablement, "bondissant du fond du cœur", joie libératrice et colère contre celui qui visiblement ne le comprend pas...
Bon je passe sur les séquences oniriques, et leur dimension surréaliste, tout aussi grotesques, de même que sur les connotations homoérotiques qu'Ozon se croit obligé de glisser — la belle plastique de Benjamin Voisin, tout droit sorti d'une pub pour sous-vêtements —, si ça lui fait plaisir... pour finir sur ce besoin du réalisateur de céder au politiquement correct, déjà en substituant "J'ai tué un arabe" (ce que renforcera dans le générique de fin, des fois qu'on n'ait pas compris, la chanson controversée — car jugée raciste par certains! — de The Cure, "Killing an Arab", elle-même inspirée du roman de Camus) à l'incipit original et d'emblée décisif "Aujourd'hui, maman est morte" (dénaturant ainsi la structure du récit entièrement fondé sur cette idée de la mère absente), comme si on supprimait le "Je suis dans la chambre de ma mère" qui ouvre Molloy de Beckett... puis en donnant un nom à l'Arabe et à sa sœur, qui les sorte ainsi de leur "invisibilité" (dixit Ozon), comme s'il fallait se démarquer à tout prix des accusations faites à Camus quant aux stéréotypes véhiculés dans son roman, sur le colonialisme (ainsi que le machisme), qui sont ceux de l'époque et touchent d'ailleurs à Camus lui-même et à ses contradictions... Vouloir les "corriger" par bonne conscience, en adoptant un point de vue qui se veut plus "humaniste" encore que celui de l'auteur, témoigne non seulement d'une incroyable prétention, mais surtout d'une vision affadie et finalement très scolaire du roman.

PS. Il se dégage souvent des films d'Ozon une forme déplaisante de frivolité. Ainsi dans l'Etranger la citation du Schpountz. Même s'il est probable que Camus avait le film de Pagnol en tête quand il a écrit le passage, il ne le précise pas, se contentant d'évoquer un "film de Fernandel", en accord avec la figure divertissante de l'acteur, la séance de cinéma à laquelle assistent Meursault et Marie ne faisant que prolonger la journée de pure distraction passée par le jeune homme au lendemain de l'enterrement de sa mère. Et si Camus ne cite pas explicitement le film, c'est qu'il sait que pour le lecteur le Schpountz est inévitablement associé à la scène de l'audition et la fameuse tirade "Tout condamné à mort aura la tête tranchée", et que y faire directement référence aurait été à contre-courant de la trajectoire voulue pour son personnage qui relève de la tragédie (et que de la tragédie). Avec la citation serait venu s'ajouter une dimension comique inacceptable au regard du film (le Schpountz c'est vraiment l'anti-Meursault), en plus d'être lourdement signifiant puisqu'annonçant le meurtre à venir de l'Arabe, faisant même de Meursault, la citation arrivant juste après l'enterrement, le meurtrier (symbolique) de la mère. Ozon, lui, ne se pose pas ce genre de questions, il se réapproprie la référence et fonce tête baissée dans la facilité.

  Diane Keaton, la fille au gilet. (ci-contre: "Le garçon au gilet rouge" de Cézanne)