octobre 12, 2025

Nouvelle vague

  Nouvelle Vague de Richard Linklater (2025).

  Récré à deux*.

A la base Nouvelle Vague de Richard Linklater cumule les handicaps: le film-hommage, la reconstitution historique, le noir et blanc numérique (plutôt qu'argentique), le jeu mimétique des acteurs, le name dropping, etc. En même temps, c'est un film dans la lignée des autres films de Linklater: le goût de l'expérimentation (Slacker, la rotoscopie), la forme "reportage" (Bernie), le rapport au temps (la trilogie des Before, Boyhood), l'enfance (Boyhood, Apollo 10½)... Et de se demander alors ce qui pourra bien sortir de ce nouveau projet, gardant à l'esprit que dans Linklater, il y a "link" et "later", deux mots que Godard se serait plu, sans nul doute, à isoler dans un générique: d'un côté, LINK, ce qui fait lien, raccorde, rattache... de l'autre, LATER ce qui relève du devenir. Soit A bout de souffle, à la fois un "point d'origine" pour Linklater, en tant que futur cinéaste (cf. supra, l'expérimentation, le reportage...), et l'impact que le film aura eu dans l'histoire du cinéma, au niveau production (à coût réduit), technique (à contre-courant), syntaxe (sans dessus dessous)... cette "insoutenable légèreté", à la limite de la désinvolture (et au grand dam de Beauregard!), qui mêle les genres autant qu'elle les dynamite. Bref, un film mythique, à l'aura si grande, et quelque part intimidante, qu'il est plus facile d'essayer de désacraliser, en restant à distance, que de vouloir témoigner de son génie en s'en approchant de plus près. Toute la difficulté est là. Comment témoigner du génie d'un film sans tomber dans le panégyrique ou l'anecdotique, parce que restant en surface. La voie est étroite. Et celle qu'a choisie Linklater, toute casse-gueule qu'elle est, se révèle en fin de compte séduisante. Je dis "en fin de compte" car la séduction de Nouvelle Vague ne se donne pas d'emblée. C'est progressivement, à mesure que le film avance et que le "trop-référentiel" du début — les aphorismes godardiens et autres citations, livrés pêle-mêle, quasiment bout à bout, le listing, regard caméra, des personnages, pour le moins nombreux, du film — tend à se distendre, que le charme opère. De sorte que Nouvelle Vague, sans se démarquer bien sûr d'A bout de souffle, se libère néanmoins de l'emprise exercée au départ par le film. Pour le dire autrement: qu'à l'image de la "récréation", ainsi que Godard qualifiait le tournage de son film, son premier "vrai" film, au rythme jazzy, vient se mêler de façon homogène, le côté "re-création" qui caractérise le film de Linklater, cette manière enjouée de réinventer A bout de souffle dans un esprit "rétro-futuriste" — le link et le later (1). Ce jeu entre "récréation" et "re-création", qui est donc le fort de Nouvelle Vague, relève du ludus, et c'est bien sur ce terrain, celui du ludique, qui fait la part belle au jeu de l'acteur (Guillaume Marbeck en Godard, Zoey Deutch en Jean Seberg, Aubry Dullin en Belmondo...), avec l'humour qui lui est associé, que le film séduit.

Après, s'il fallait creuser davantage, aller au-delà de la simple séduction, il y a quand même autre chose que le film met en "lumière", si je puis dire car c'est justement sur la question de la lumière, via le rapport que privilégie Linklater entre Godard et Coutard, son chef-op (plus encore qu'entre le cinéaste et ses acteurs). Au-delà du leitmotiv "Moteur! Raoul... Ça tourne! Jean-Luc", qui procède du gimmick, il y a cette réalité, rappelée tout du long par Linklater, que Raoul Coutard a joué un rôle prépondérant dans la réalisation du film, en rendant le "plus réalisable possible" les idées pour le moins hétérodoxes de Godard. Cet aspect "technique" (à travers le Caméflex, trop bruyant pour la prise de son synchrone, mais si léger — à peine 5 kg — et maniable, qu'il était l'outil idéal pour traduire sur pellicule ce que Godard avait en tête, parfois, sinon souvent, au dernier moment), Nouvelle Vague le fait ressentir avec une belle justesse. C'est le côté délicatement "concret" du film qui, s'il interdit les envolées plus poétiques qu'un autre film, dans un autre registre, aurait peut-être favorisé (sans que cela soit justifié d'ailleurs car A bout de souffle n'est pas du genre à hanter un film, il est plutôt à le contaminer par tous les bords), s'accorde bien avec l'aspect volontairement prosaïque du cinéma de Godard (le versant lyrique, l'artiste s'en est lui-même occupé dans son Nouvelle Vague à lui, réalisé trente ans plus tard avec... Alain Delon), à ce stade encore largement nourri du polar américain (pour ce qui est de l'audace expérimentale on citera Les Palmiers sauvages de Faulkner), et qui grimpera d'un cran dès le film suivant, le Petit Soldat et sa formule "la photographie c’est la vérité. Et le cinéma c’est vingt-quatre fois la vérité par seconde", pour culminer avec les Carabiniers. C'est pour cela que le projet de Linklater, de s'attacher à la production et au tournage d'un film de la Nouvelle Vague, ne pouvait concerner que Godard, le plus représentatif des cinéastes NV, et A bout de souffle, son premier long, à ce titre le plus mythique, plus encore que le Mépris ou Pierrot le Fou. Défi néanmoins risqué que Linklater relève avec talent sous l'angle certes du seul cinéma, celui du cinéphile, que d'aucuns jugeront insuffisant, mais qui, sous cet angle, visant moins l'imitation que la mimèsis, la réflexion que la séduction, fait de Nouvelle Vague un film pas tant "nouvelle vague" qu'amoureusement godardien.

*Deux, soit: Godard et Belmondo, Godard et Coutard, Godard et Beauregard, Godard et Linklater...

(1) Et ce jusqu'aux bagnoles dont on sait l'importance dans les films de Godard, du moins de la première période. Et ainsi de retrouver la Oldsmobile 88 et la T-Bird blanche? Je pose la question car je n'ai pas été suffisamment attentif sur ce point.


Une petite MG, trois compères
Assis dans la bagnole sous un réverbère
Une jambe ou deux par-dessus la portière
La nouvelle vague, nouvelle vague...