
Fantastic Mr. Fox de Wes Anderson (2009).
Bestiaire de l'enfance.
On a pratiquement tout dit sur Fantastic Mr. Fox de Wes Anderson (un film produit par la Fox évidemment). Je ne reviens donc pas sur l’histoire, adaptée du roman pour enfants de Roald Dahl, un auteur que je n’ai jamais lu, ni sur les thèmes chers à Anderson que sont la famille, la relation père/fils, etc., ni sur la technique de l’animation "image par image", procédé désuet mais qui fait tout le charme du film, renouant avec la poésie du Roman de Renard (Starewitch) ou de King Kong (Schoedsack et Cooper). En revanche, je voudrais dire quelques mots sur la manière dont Anderson croise une technique un peu brute, quasi primitive, sinon sauvage, et un récit foisonnant et parfaitement huilé (comme tout conte pour enfants), là où chez lui c’est d’habitude l’inverse (scénographie riche et dense, remplissant le cadre, qu’il s’agisse de la cabine d’un bateau ou du compartiment d’un train, au service d'un récit toujours inventif mais éparpillé). Cette inversion dans les rapports n’est pas sans conséquence au niveau du récit lui-même qui gagne en puissance, par le contraste ainsi créé entre le côté rough de l’animation et l’aspect peluche des personnages, entre les pulsions animales de ceux-ci (en fait réduites à leur caractère vorace — séquences fulgurantes et très drôles) et la douceur veloutée de leurs expressions, au niveau du regard et surtout de la voix (celle de Clooney est un délice), sans tomber dans l'anthropomorphisme gnangnan (Maître Renard est un chef de famille, coincé entre son désir d'ascension "sociale" et son rêve d'être comme le loup, libre et sauvage — c'est aussi un chef de clan, le chef de tous les petits animaux qui habitent les terriers, comme le blaireau, la taupe, le lapin... mais pas l'opossum qui, lui, vit dans les arbres et accompagne le groupe seulement par amitié!)... bref, entre la mécanique de l'ensemble, dont on devine en permanence les rouages, la part artisanale, et la force poétique de toutes ces figurines à fourrure, ce qui confère au film une dimension matiériste et tactile assez extraordinaire; un récit qui gagne aussi en dynamisme (la vitesse de narration varie en fonction des situations alors que la taille des personnages varie, elle, en fonction du décor), et surtout en profondeur, à travers ce que nous dévoile Wes Anderson de son rapport au monde.
Certains n’y ont vu qu’une sorte d’autoréflexion du cinéaste sur son propre système (la fameuse maison de poupée), la miniature poussée à son comble, alors qu’en fait il s’agit d’un véritable dépassement, tant son univers se trouve ici paradoxalement plus ouvert. Non pas qu'il s’élargisse mais qu’il se creuse, à l’image du terrier et de ses galeries, se propageant tel un rhizome, vaste réseau de communication (avec l'extérieur) autant que d'isolement. Rien à voir avec Le terrier de Kafka et sa dimension paranoïde, mais quand même, l’idée qu’il y a chez Anderson les mêmes questionnements que chez Kafka quant à ce qu'il en est de la vie lorsque celle-ci vous place en marge des autres. Questions posées ici par le biais non pas de l’autobiographie, comme dans Darjeeling Ltd, ce qui finissait par alourdir le film (cf. la dernière partie), mais de l’autoportrait, tant il apparaît manifeste que Wes Anderson et Mr. Fox ne font qu’un — le rapprochement n’est pas que vestimentaire et ne se limite pas au seul dandysme — au point d'ailleurs que derrière l'image traditionnelle du renard (le côté farouche), c'est bien, via la rousseur de son pelage, celle de la différence qu'il faut voir. Mr. Fox, c’est aussi "Poil de carotte" (la preuve, le roman est de Jules Renard, haha): il ne m'étonnerait pas que dans l'enfance Wes Anderson ait été plus roux qu'il ne l'ait aujourd'hui... en tous les cas, on sait qu'il était le cadet de la famille (comme Cadet Roussel, haha... bis) et qu'à ce titre, il était maintenu un peu à l'écart, comme le sont les enfants trop géniaux, qu'ils soient rouquins ou gauchers — je pense à John McEnroe, tennisman génial s'il en est — voire les deux. En fait, c'est surtout un "grand mélancolique", et non un "petit garçon" comme le pensent les anti-andersoniens, c'est-à-dire que son univers n'est pas régressif (à l'instar de certaines comédies US), mais prospectif, au sens où le mouvement ne va pas du présent vers le passé mais dans l'autre sens: c'est à partir de schèmes nourris dans l'enfance que s'est construite son esthétique (un peu comme chez Ravel dont il ne viendrait à l'idée de personne de dire de son œuvre qu'elle est régressive). C'est toute la différence entre la nostalgie, celle du passé que l'on cherche à retrouver, dans une quête passéiste d'autant plus douloureuse qu'elle n'est jamais satisfaite et doit être perpétuellement reconduite, et la mélancolie où la douleur repose au contraire sur le fait qu'on sait pertinemment que le passé (et l'enfance, en l'occurrence) est révolu, qu'on ne pourra jamais revenir en arrière, et qu'une des façons de ne pas trop en souffrir est de le recréer, autrement dit, de le rendre à nouveau présent, infiniment présent, ce à quoi s'attelle Wes Anderson avec une constance d'autant plus bouleversante que les formes, elles, y sont sans cesse renouvelées...