juillet 15, 2025

F1®

  F1® de Joseph Kosinski (2025).

"I fly away".

On ne reprochera pas au film sa prévisibilité vu que c'est le propre d'un blockbuster que d'être prévisible, la réussite résidant justement dans l'art de bien négocier ce côté prévisible, de le rendre en quelque sorte désirable. Dans F1®, il y a le "plan C" préconisé par Brad Pitt, qui renvoie à l'aspect "combat" du film et que traduisent les scènes de courses, ultraspectaculaires, auxquelles, force est d'avouer, il est difficile de résister (l'ouverture sur "Whole Gotta Love" de Led Zeppelin même si c'est Daytona, une course d'endurance, waouh...), les bolides de Formule 1 à la manière des chasseurs F/A-18 dans Top Gun: Maverick du même Kosinski. C'est le ® du titre, pas tant la "marque déposée" que le registered, l'"enregistrement" des séquences, qui donne au film son côté "immersif", systématique aujourd'hui dans tout blockbuster (et pas que, hélas), et d'une certaine façon incontournable quand il s'agit de films de bagnoles (à quelles doses? là est la question), le côté "embarqué dans le baquet", tel un jeu vidéo grandeur nature, voire bigger than life dans le meilleur des cas. Et puis il y a le script, un script au demeurant très conventionnel — la vieille amitié entre deux pilotes, la rivalité entre un vieux briscard et un jeune prodige, une histoire d'amour ancienne ou naissante et généralement impossible, etc. — mais dont il est difficile, là encore, de s'affranchir, la réussite passant plutôt par la façon d'agencer toutes ces scènes, pour le coup très attendues, avec l'action proprement dite, de faire que les conventions se fondent naturellement, à la Hawks pourrait-on dire, dans le spectaculum. Sauf que dans F1® le résultat est plutôt décevant, ce travail d'agencement inhérent à ce genre de film donnant par trop l'impression du "passage obligé". Reste les stratégies de course mises au point par Sonny Hayes (Brad Pitt) qui confèrent tout son sel au film, des stratégies à la limite du règlement (provoquer des accrochages, style courses de chars péplumesques, obligeant les officiels à stopper la course le temps de nettoyer la piste, des arrêts qui ne peuvent que pénaliser ceux qui vont plus vite, quitte même à les ralentir en sortant des stands juste devant eux)... voire dans le cadre même du règlement (et son caractère aujourd'hui très abscons que pointe indirectement le film)... des stratégies qui surtout témoignent du génie de Hayes, maître tacticien (ainsi par exemple du moment précis où dans la course il va falloir changer ses pneus), de sorte que le personnage apparaît comme un mixte idéal de Senna (pour sa technique agressive de pilotage) et de Prost (pour sa science des réglages et de la tactique) avec le côté filou en plus (Le fait que les personnages soient fictivement en compétition avec de vrais pilotes de F1, Hamilton, Verstrappen, Leclerc, Russell, Pérez, etc. crée un certain trouble, discret mais agréable.) A côté de la part purement jubilatoire, sinon jouissive du film, il y a donc cette part proprement ludique, liée aux différentes tactiques de course opérées par le héros. F1® apparaît ainsi comme un grand film-jeu qui mêlerait jeu de vertige et jeu de stratégie, ce qui, dans ce dernier cas, m'a fait penser à un autre film avec Brad Pitt en stratège: Moneyball de Bennett Miller, et "l'art de gagner" au baseball par une approche statistique (sabermétrique) de la compétition, quant à la façon de recruter des joueurs; qui fait qu'une équipe qui végète dans les profondeurs du classement, grimpe progressivement dans ledit classement et finit même par gagner le championnat (progression qu'on retrouve dans F1® où il faut dans un premier temps terminer dans les points avant d'espérer mieux...). Progression arithmétique, doublée d'une autre quête, elle plus poétique, en tout cas moins prosaïque, qui fait la beauté finale du film, cette recherche par le héros du moment de grâce où il se retrouve comme seul sur la piste, déconnecté du réel, et semble alors s'envoler, ce qui est un écho manifeste au sentiment de déréalisation que décrivait déjà Ken Miles (Christian Bale) dans Le Mans '66 (Ford v Ferrari) de Mangold, lui-même en référence à la fameuse "ligne route 7000" de Hawks. F1® aurait dû s'arrêter là.