
El llanto (les Maudites) de Pedro Martín-Calero (2024).
Le liant d'El llanto.
Vu les Maudites (El llanto) de Pedro Martín-Calero. Et dans le genre (le thriller horrifique), pas vu mieux depuis The Invisible Man, la version #MeToo réalisée par Leigh Whannell en 2020, dont s'inspire d'ailleurs Martín-Calero dans la partie finale du film, quand l'une des héroïnes (il y en a trois) est directement confrontée au "mal" (comme Elisabeth Moss avec ce salaud de Griffin), ce mal qui n'est visible qu'à travers des écrans numériques (téléphone portable, caméra vidéo), vu que les spectres, maléfiques ou non, c'est bien connu, n'impriment pas la pellicule; se manifestant aussi par des gémissements, "les pleurs" du titre original, celles des victimes qui, depuis un même bâtiment mystérieux, semblent traverser le temps (le film se déroule à deux époques différentes, séparées de vingt ans) et l'espace (situé à deux endroits différents, à dix mille kilomètres l'un de l'autre, Madrid et La Plata en Argentine). On ajoutera que la figure du mal et les pleurs qui l'accompagnent ne sont perçus que des trois héroïnes qu'un lien unit sans qu'elles le sachent. L'idée qui court en filigrane — la violence ancestrale, patriarcale, sexiste... dont sont victimes les femmes — est évidente (le mal est ici représenté par un vieil homme aux traits "craveniens", me faisant également penser à l'homme goule de Carnival of Souls incarné par Herk Harvey en personne), de sorte qu'il n'était peut-être pas nécessaire à la fin, comme le fait Martín-Calero, de mettre les points sur les i (et les barres sur les t), mais bon, l'auteur n'enfonce pas non plus le clou et cette fin, toute décevante qu'elle est, ne vient pas gâcher le plaisir pris jusque-là.
Parce que les Maudites est une vraie réussite, qui démarre par une séquence de musique trance dans une boîte de nuit, avec effets de lumière stroboscopiques, un prélude percutant, particulièrement violent, puisque matérialisant au présent le trauma originel, et qui va se prolonger tout au long du film, telle une "onde de choc" (la boîte de nuit se nomme "Blast"), par ces voix de femmes, témoignant, elles, du passé, des voix qui relèvent à la fois de la plainte et du chant (belle partition signée Olivier Arson). C'est la force du film. Relier présent et passé, et ainsi, par les voix entendues, la "malédiction" dont deux des héroïnes semblent porteuses, sous le regard de la troisième qui en sera elle aussi victime (l'actrice qui joue Camila a des faux airs de Kristen Stewart). Pour l'exprimer, et en même temps signifier la dimension universelle de cette violence, Martín-Calero recourt, comme pour les voix, à une sorte de fusion, au sein du genre qu'est le thriller horrifique, empruntant aussi bien à la tradition espagnole du film d'horreur qu'au fantastique contemporain, évoquant les premiers Amenábar et ce qu'on appelle le "réalisme magique" dans la littérature et le cinéma latino-américains, mais également, dans une approche postmoderne du genre, à un cinéaste comme De Palma et sa référence ici davantage antonionienne que hitchcockienne (manifeste dans la partie centrale du film)... le réalisateur privilégiant ainsi ce qui fait lien, le "liant" d'El llanto, sa ligature, comme celle du double "L", que renforce l'article "el".
Ll, el... entendu "elle" en français, soit Marie, le premier maillon (français) du film, elle-même perdue dans la longue chaîne de l'Histoire, celle de ces autres "elles", qui remonte à la nuit des temps.