octobre 31, 2025

Du Hong nature

  Ce que cette nature te dit de Hong Sang-soo (2025).

Le nouveau Hong Sang-soo est une pure merveille, un des plus beaux films de l'année, peut-être même le plus beau. Il est dans le même bois, ou plutôt le même os, que les derniers Hong (même si je n'ai pas vu le précédent, By the Stream, honteusement passé à l'as), égrenant par petites touches, avec délicatesse, humour et par moments cruauté (l'alcool aidant), tous ces faux-semblants qui, sous couvert de politesse et autres marques de déférence, vernissent, autant qu'ils les lissent, les relations humaines — Ici à travers la rencontre d'un jeune "poète" (Ha Seong-guk qui tenait déjà ce rôle dans Juste sous vos yeux et De nos jours...), assumant sa vie d'artiste propice à la contemplation (cf. la sublime scène de rêverie poétique à la fin du film) car détaché des contingences matérielles... sa rencontre, donc, avec les parents de sa petite amie.

Ainsi Ce que cette nature te dit s'inscrit-il dans cette dernière période de l'art hongien (qui démarre comme il se doit avec Introduction), marquée par la présence du cinéaste à tous les postes (techniques) du film (pas moins de sept: production, écriture, réalisation, photo, son, montage, musique), dans un souci pas tant de maîtrise absolue que de fluidité créatrice, qui enveloppe chacune de ses petites pièces dans une sorte de cocon esthétique, à la fois minimaliste et intimiste (1), faisant du film un ensemble idéalement rempli, avec tous les ingrédients nécessaires à sa composition, le rendant pour ainsi dire "complet". C'est le sens du mot 자연 (jayeon), "nature" auquel renvoie le titre, la nature, dans son acception classique, ce qui ne relève pas de l'activité humaine, mais surtout en tant qu'ensemble, celui des choses et des êtres, et, plus encore, ensemble de forces, de principes, de caractères... cette nature qui est celle du poète, dont on ne sera jamais avec précision ce qu'il en est (2), comme du père de sa bien-aimée, qui, plus pragmatique, a conçu tous les plans de sa maison. Un ensemble où l'on retrouve à des degrés divers les mêmes éléments que dans les films précédents: là du vert (beaucoup même — le film a été tourné à Yeoju dans la province verdoyante de Gyeonggi, ce qui nous vaudra la visite d'un temple —, prolongeant le vert de la Voyageuse, un vert par instants très flashy, à l'instar de la photo cramée dans la Romancière...), là du flou (comme dans In Water), là des zooms (quoique de moins en moins intempestifs chez Hong), là des "épiphanies" (un coucher de soleil, dans l'esprit "rossellino-rohmérien" de Juste sous vos yeux, et de la Romancière... avec le bouquet de marguerites) et puis aussi, bien sûr, des accords de guitare (véritables ponctuations, devenues incontournables dans les derniers Hong — il y a même un gayageum, sorte de cithare coréenne), des accords dont on peut dire qu'ils sont comme des petites notes d'épices ajoutées au tournage, lequel semble de plus en plus relever d'un art de la cuisine chez Hong Sang-soo. A ce titre, la "soupe de poulet" (samgyetang) préparée par l'épouse, un plat parfumé au ginseng (ce même ginseng que mâchait Kwon Hae-hyo à la fin de Walk Up) et accompagné non plus de soju comme avant mais de makgeolli (alcool de riz beaucoup plus doux, et ça depuis la Femme qui s'est enfuie)... eh bien illustre assez bien ce qu'est devenu l'art hongien. A la fois un cinéma "à cordes", pour ce qui est de la vibration que produisent tous ces jeux d'échos et de rimes, et un cinéma "gustatif", qui se goûte, se hume, dont on se délecte par le simple plaisir que l'on prend (comme chez Ozu) à suivre les rencontres (le cinéma de Hong est un cinéma de la rencontre) que font les personnages, incarnés par les mêmes acteurs/actrices, sur des thèmes très proches (même si variés), dans des lieux qui, toujours, privilégient l'intimité de la rencontre.

(1) L'intimisme est ici renforcé par 1) les deux rôles masculins qui sont comme des autoportraits de Hong Sang-soo, à travers non seulement Kwon Hae-hyo, son acteur fétiche (alter ego de Hong), même si dans ce film il ne tient pas le rôle d'un réalisateur, mais également le personnage du jeune poète qui, quelque part, représente Hong à ses débuts dans le cinéma (à l'âge de 34 ans, ce que symbolise la voiture dans laquelle il roule, une vieille Kia des années 90); 2) le fait que la maison où a été tourné le film est celle-là même des parents de l'actrice Kang So-yi (la petite amie du poète), alors que ses "parents" dans le film sont joués par Kwon et Jo Yon-hee, eux-mêmes couple à la ville.

(2) Surtout après le "test de la bouteille" que lui fait passer à la fin du repas le père (avec un véritable alcool), et dont on ne peut pas dire qu'il le réussit avec succès, y révélant sa vraie "nature" du moins pour les parents (en particulier sa haine du père, avocat célèbre), ainsi qu'il le crie après avoir déclamé, sinon éructé, complètement bourré, un de ses poèmes ("la nuit, une fleur éclot...") à la fille aînée qui ne cessait de lui rappeler que, quand bien même il revendiquerait une vie de bohème, il pourra toujours compter (matériellement) sur son père. Image possible de l'imposteur ("il n'a pas de talent", finissent par conclure les parents, seuls dans leur cabanon), mais infiniment plus touchante aux yeux de Hong Sang-soo — quelle que soit l'arrogance — que tout ce conformisme de tradition auquel renvoie la famille.

octobre 12, 2025

Nouvelle vague

  Nouvelle Vague de Richard Linklater (2025).

  Récré à deux*.

A la base Nouvelle Vague de Richard Linklater cumule les handicaps: le film-hommage, la reconstitution historique, le noir et blanc numérique (plutôt qu'argentique), le jeu mimétique des acteurs, le name dropping, etc. En même temps, c'est un film dans la lignée des autres films de Linklater: le goût de l'expérimentation (Slacker, la rotoscopie), la forme "reportage" (Bernie), le rapport au temps (la trilogie des Before, Boyhood), l'enfance (Boyhood, Apollo 10½)... Et de se demander alors ce qui pourra bien sortir de ce nouveau projet, gardant à l'esprit que dans Linklater, il y a "link" et "later", deux mots que Godard se serait plu, sans nul doute, à isoler dans un générique: d'un côté, LINK, ce qui fait lien, raccorde, rattache... de l'autre, LATER ce qui relève du devenir. Soit A bout de souffle, à la fois "point d'origine" pour Linklater, en tant que futur cinéaste (cf. supra, l'expérimentation, le reportage...), et l'impact que le film aura eu dans l'histoire du cinéma, au niveau production (à coût réduit), technique (à contre-courant), syntaxe (sans dessus dessous)... cette "insoutenable légèreté", à la limite de la désinvolture (et au grand dam de Beauregard!), qui mêle les genres autant qu'elle les dynamite. Bref, un film mythique, à l'aura si grande, et quelque part intimidante, qu'il est plus facile d'essayer de désacraliser, en restant à distance, que de vouloir témoigner de son génie en s'en approchant de plus près. Toute la difficulté est là. Comment témoigner du génie d'un film sans tomber dans le panégyrique ou au contraire l'anecdotique, parce que restant trop en surface. La voie est étroite. Et celle qu'a choisie Linklater, toute casse-gueule qu'elle est, se révèle en fin de compte séduisante. Je dis "en fin de compte" car la séduction de Nouvelle Vague ne se donne pas d'emblée. C'est progressivement, à mesure que le film avance et que le "trop-référentiel" du début — les aphorismes godardiens et autres citations, livrés pêle-mêle, quasiment bout à bout, le listing, regard caméra, des personnages, pour le moins nombreux, du film — tend à se distendre, que le charme opère. De sorte que Nouvelle Vague, sans se démarquer bien sûr d'A bout de souffle, se libère néanmoins de l'emprise exercée au départ par le film. Pour le dire autrement: qu'à l'image de la "récréation", ainsi que Godard qualifiait le tournage de son film, son premier "vrai" film, au rythme jazzy, vient se mêler de façon homogène, le côté "re-création" qui caractérise le film de Linklater, cette manière enjouée de réinventer A bout de souffle dans un esprit "rétro-futuriste" — le link et le later (1). Ce jeu entre "récréation" et "re-création", qui est donc le fort de Nouvelle Vague, relève du ludus, et c'est bien sur ce terrain, celui du ludique, qui fait la part belle au jeu de l'acteur (Guillaume Marbeck en Godard, Zoey Deutch en Jean Seberg, Aubry Dullin en Belmondo...), avec l'humour qui lui est associé, que le film séduit.

Après, s'il fallait creuser davantage, aller au-delà de la simple séduction, il y a quand même autre chose que le film met en "lumière", si je puis dire car c'est justement sur la question de la lumière, via la relation que privilégie Linklater entre Godard et Coutard, son chef-op (plus encore qu'entre le cinéaste et ses acteurs). Au-delà du leitmotiv "Moteur! Raoul... Ça tourne! Jean-Luc", qui procède du gimmick, il y a cette réalité, rappelée tout du long par Linklater, que Raoul Coutard a joué un rôle prépondérant dans la réalisation du film, en rendant le "plus réalisable possible" les idées pour le moins hétérodoxes de Godard. Cet aspect "technique" (à travers le Caméflex, trop bruyant pour la prise de son synchrone, mais si léger — à peine 5 kg — et maniable, qu'il était l'outil idéal pour traduire sur pellicule ce que Godard avait en tête, parfois, sinon souvent, au dernier moment), Nouvelle Vague le fait ressentir avec une belle justesse. C'est le côté délicatement "concret" du film qui, s'il interdit les envolées plus poétiques qu'un autre film, dans un autre registre, aurait peut-être favorisé (sans que cela soit justifié d'ailleurs car A bout de souffle n'est pas du genre à hanter un film, il serait plutôt à le contaminer par tous les bords), s'accorde bien avec l'aspect volontairement prosaïque du cinéma de Godard (le versant lyrique, l'artiste s'en est lui-même chargé dans son Nouvelle Vague à lui, réalisé trente ans plus tard avec... Alain Delon), à ce stade encore largement nourri du polar américain (pour ce qui est de l'audace expérimentale on citera Les Palmiers sauvages de Faulkner), et qui montera d'un cran dès le film suivant, le Petit Soldat et sa formule "la photographie c’est la vérité. Et le cinéma c’est vingt-quatre fois la vérité par seconde", pour culminer avec les Carabiniers. C'est pour cela que le projet de Linklater, de s'attacher à la production et au tournage d'un film de la Nouvelle Vague, ne pouvait concerner que Godard, le plus représentatif des cinéastes NV, et A bout de souffle, son premier long, le plus mythique de ses films, plus encore que le Mépris ou Pierrot le Fou. Défi risqué que Linklater relève avec talent sous l'angle certes du seul cinéma, celui de la cinéphilie, que d'aucuns jugeront insuffisant, mais qui, sous cet angle, qui vise moins l'imitation que la mimèsis, la réflexion que la séduction, fait de Nouvelle Vague un film finalement moins "nouvelle vague" qu'amoureusement godardien.

*Deux, soit: Godard et Belmondo, Godard et Coutard, Godard et Beauregard, Godard et Linklater...

(1) Et ce jusqu'aux bagnoles dont on sait l'importance dans les films de Godard, du moins de la première période. Et ainsi de retrouver la Oldsmobile 88 et la T-Bird blanche? Je pose la question car je n'ai pas été suffisamment attentif sur ce point.


Une petite MG, trois compères
Assis dans la bagnole sous un réverbère
Une jambe ou deux par-dessus la portière
La nouvelle vague, nouvelle vague... 

octobre 05, 2025

Hey Jude

  Kontinental '25 de Radu Jude (2025).

  La comédie roumaine.

"Pourquoi les Roumains ne veulent pas jouer dans Star Wars?
Parce qu'ils ne veulent pas travailler, même dans le futur."

On connaît la valeur du télescopage chez Radu Jude, sa façon de faire s'entrechoquer le "trop-plein" (qui sature ses films) et le "plein de trous" (de l'Histoire), via son goût de l'archivage et de la mise en abyme, lui permettant de "re-actualiser" le passé, celui de la Roumanie (cf. Peu m'importe si l'histoire nous considère comme des barbares, sur le massacre des Juifs d'Odessa, perpétré en 1941 par le régime roumain et son chef Ion Antonescu, auteur de la phrase qui donne son titre au film), ou encore de pointer, avec toute la "sarcasticité" voulue, l'horreur du capitalisme moderne, recourant pour cela à une esthétique volontairement "sale", en écho à ce qui se dit par exemple sur les réseaux sociaux (TikTok) et qu'incarne un personnage comme celui d'Angela dans N'attendez pas trop de la fin du monde... Façon aussi d'entrechoquer le tragique et le comique, le comique bien gras, celui qui tache, et le comique de poésie (cf. Bad Luck Banging or Loony Porn qui croise une sordide histoire de sextape balancée sur le Net avec des chansons de Boby Lapointe, le roi de la paronymie, autre forme de télescopage).

On retrouve tout cela dans Kontinental '25 dont le titre évoque bien sûr Europa '51, sauf que le film n'a pas grand-chose de rossellinien, la référence se situant seulement dans le "parcours" d'Orsolya l'héroïne (Eszter Tompa), une huissière de justice rongée par la culpabilité (après le suicide d'un vieux marginal qui squattait le sous-sol d'un futur hôtel de luxe et qu'elle était chargée d'expulser), le thème de la pauvreté, le rôle de la religion... mais sans le cheminement spirituel d'une Ingrid Bergman, à la fois sainte et martyre chez Rossellini, alors que là, le charnel, le matériel, bref le temporel, maintiendra Orsolya jusqu'au bout les pieds bien sur terre (avec en guise de fin: partir en vacances rejoindre les siens sur une île grecque!).

Le film se passe à Cluj, en Transylvanie, le pays de Dracula, oui mais ça ce sera pour plus tard (le prochain film de Jude). En attendant, c'est plutôt des origines hongroises de la ville comme de l'héroïne dont il est question (source d'engueulade avec la mère qui défend Orbán). Kontinental '25 a été filmé avec un iPhone 15 (et son grand-angle, pas du meilleur effet sur grand écran), autant dire que le film n'est pas d'une grande beauté plastique, fidèle en cela à l'esthétique lo-fi de Jude (mais il n'est pas moche non plus, notamment dans les scènes de nuit — le film est aussi un portrait de Cluj, que nous fait visiter Orsolya à travers ses déambulations, auxquelles s'ajoutent, iPhone oblige, les images fixes de vieux immeubles, témoins d'un passé révolu dans une ville en pleine expansion). Seul vrai défaut, et pas nouveau non plus chez Jude, ça jacasse beaucoup, via toutes ces rencontres que fait Orsolya, racontant à chaque fois (la répétition, motif judien par excellence) comment l'homme s'est pendu au radiateur avec un fil de fer, le fait qu'il se soit pissé dessus et ce sentiment de culpabilité qui depuis la poursuit, bien que légalement elle n'est pas coupable, se croit-elle obligée de préciser, à chaque fois là aussi... Et en retour, l'amie et ses histoires, elles, de "caca" concernant un SDF zonant près de chez elle, puis un ancien étudiant, devenu livreur (ubérisé) de pizzas, et ses interminables histoires estampillées "zen", avec qui, complètement ivre, elle finira par baiser... enfin le prêtre orthodoxe qui, plutôt que de la soulager, la perturbe encore plus avec ses maximes absconses tirées de l'Evangile. Impuissance de la parole.

Tout mal foutu et verbeux qu'il est, le film n'en est pas moins convaincant par l'énergie déployée, sa manière de brocarder l'ultra-libéralisme (pensons à la truculence du sans-abri qui ouvre le film, sorte de Boudu ou de Bardamu des Carpates — des noms en "u" bien roumains, haha — jurant à tout bout de champ et en cela, frère de l'Angela citée plus haut... C'est le côté obscène du cinéma de Jude (Jude l'Obscène et non l'Obscur, haha, bis), qui lasserait vite s'il n'y avait, en contrepartie, cette espèce de vis poetica qui sourd du film, telle une force sous-jacente... C'est le cas par exemple avec les dinosaures animatroniques du parc ou encore le chien robot, image d'une nature de plus en plus artificielle, comme d'un monde de moins en moins humain. Une poésie des plus prosaïque, il va de soi, qui chez Jude émerge ainsi, au détour d'un plan ou d'une scène, par la seule présence d'éléments incongrus, au sens d'inappropriés, qui ne répondent pas aux règles en usage, celles de la bienséance (à l'image du sans-abri), celles aussi du "bien filmé" (dont Jude n'a que faire). L'art de Jude c'est cela finalement: un art de l'incongru.

octobre 02, 2025

Douce France

  La France de Serge Bozon (2007).

"Est-ce qu'il viendrait vers moi?"

Ah la France... le film ne se réduit pas à tous ces croisements dont a usé la critique pour tenter de le définir (la palme à Chronic’art qui parlait non sans humour — ça m'avait bien fait rire, je le reconnais — de 7e compagnie filmée par Walsh!) sous prétexte que Serge Bozon aime mélanger les genres. Au contraire, ce qu’il y a de beau ici c’est tout ce qui échappe aux références (Walsh donc, mais aussi Fuller ou encore Barnet, selon Bozon lui-même), ce qui émerge progressivement du film, s’extirpant de la trame de départ (le film de guerre loin des champs de bataille, une petite troupe d’hommes se déplaçant à l’arrière du front...), pour créer son propre genre, cette façon si particulière de donner corps à un groupe, de le faire vivre de l’intérieur (à travers le regard d’un personnage central), construction idéale pour faire dialoguer, jusqu’à inverser les points de vue, l'individu et le groupe, le féminin et le masculin, le pays et les étoiles... Dans la France il y a bien quelques travellings ici et là, mais rapides, qui ne font que déchirer l’espace, tels des coups de feu provenant d’un ennemi invisible, et n’ont pas la force des plans fixes qui eux traquent l’émotion vraie, celle qui ne relève d’aucun artifice, s’offrant nue au regard du spectateur, au risque du ridicule (un peu comme chez Rohmer), et dont on craint à chaque instant qu’elle s’évanouisse tant l’équilibre est fragile. Dans Mods, cela passait par la pose; ici, il s’agit surtout de faire des pauses, telles de petites armistices à l’intérieur du film: établir un campement, évoquer des souvenirs, pousser la chansonnette pour mieux supporter l’épreuve du réel, un réel qui surgira ailleurs, sur la paille et non dans la poussière, lors d’une scène (celle de la grange) assez hallucinante, moment à la fois crucial, sans quoi le film ne tiendrait pas au niveau du récit, et dérangeant tant la scène, théâtrale, volontairement grotesque, détonne par rapport au reste. Quant aux chansons (avec ces drôles d'instruments pour les accompagner) (1), équivalentes aux chorégraphies dans Mods, elles sont d’une autre portée que les interludes gentillets d’un Honoré (je pense à ses Chansons d'amour, sorties à la même époque). D’une rare intensité, elles sont comme des temps d’innocence retrouvée, mieux, des "arbres de vie" aux branches desquelles les personnages semblent s’accrocher pour ne pas tomber.

"Est-ce qu’il viendrait vers moi?", chantent les poilus en référence au personnage de Guillaume Depardieu, l’époux disparu que l’héroïne (Sylvie Testud) cherche à rejoindre tout au long du film. Mais pour Serge Bozon, "il" c’est aussi le public, un public qui lui, malheureusement, n’est pas venu. Est-ce vraiment surprenant? Depuis quand ce genre de film, qui refuse obstinément les effets de mode, s’avançant crânement hors des sentiers battus, est-il appelé à rencontrer le succès? Si Bozon rêve de faire des séries B pour un large public, cela relève quand même du fantasme. La série B, qui n’a rien à voir avec le cinéma populaire, œuvre dans un domaine relativement étroit et, à ce titre, ne peut intéresser qu’un petit nombre. Pour autant, cela suffit-il à expliquer l’échec du film? Même s’il est admis que la critique ne pèse plus beaucoup dans le succès commercial d’un film (c’est un leurre que de croire qu’un bon papier dans les Cahiers, Libé ou Les Inrocks, va faire augmenter les entrées), on peut se demander si Bozon n’a pas été victime de sa propre image, si sa personnalité, forte au demeurant, n’a pas été mise trop en avant par la critique, parlant davantage de lui et de ses goûts cinéphiles très "tranchés" (si je puis dire), totalement à rebours du courant dominant, que de son film proprement dit, ce qui, par effet d’identification, a perverti l’approche que l’on pouvait avoir du film. Car finalement sur quoi s’est basé le spectateur pour se décider ou non à aller voir le film (je laisse de côté les aficionados, convaincus par avance d’aller voir un chef-d’œuvre)? En fait pas grand-chose, juste l’image que les médias ont complaisamment renvoyée de son auteur, celle du dandy, de l'intellectuel aussi — on ne s’est pas privé de rappeler que Bozon avait fait des études de philo et qu'il enseignait la logique — ce qui ne pouvait que susciter, soit le rejet, réaction la plus fréquente, en écho à un certain accueil critique (cf. Positif où le film est identifié à de l’esbroufe, sans la moindre analyse), soit la curiosité, réaction plus minoritaire mais surtout sans lendemain (une curiosité, c’est fait pour être satisfaite, sans plus), et donc insuffisante pour favoriser une éventuelle réaction en chaîne, celle que produit parfois un film lorsque, dès les premiers jours, il provoque de façon aussi inattendue qu’irrationnelle l’engouement du public. Tout ça pour dire qu’une fois de plus, la critique n’avait pas fait son travail, qu’elle s’était limitée à donner un coup de projecteur là où on espérait qu’elle joue les éclaireurs, et ce d’autant plus qu’il s’agissait d’un film audacieux, donc fragile commercialement, et qu’on sait l’espèce de jungle dans laquelle se battent aujourd’hui les films à petit budget dès leur sortie.

C’est désolant car il y en avait des choses à dire sur la France, qui ne se limitent pas au repli cinéphile, le monde en vase clos, le cinéma de poche, etc., mais s’attardent au contraire sur ce qui, positivement, fait la richesse du film, cette beauté insolite (insolente?) qui ne relève d’aucun formalisme, naissant plutôt de la manière dont Serge Bozon fait communiquer entre eux les différents niveaux de son film, lui permettant de rompre avec grâce la linéarité de son récit, de bousculer tout en douceur, et avec un certain lyrisme par moments, la simplicité de sa mise en scène, et d’éprouver ainsi avec pudeur la "lâcheté" apparente (en tant que déserteurs) de ses personnages... Quant au reproche fait au cinéaste de n'avoir pas davantage exploité les possibilités narratives que lui offrait au départ l’idée d’une femme travestie en homme et vivant à l’intérieur d’un bataillon (du moins ce qu'il en reste), comme d'affirmer que, trop soucieux de ne pas verser dans le naturalisme, il avait fini par réduire ses personnages à de simples figures... eh bien, ça témoigne surtout de cette propension chez nombre de critiques à décréter le ratage d’un film au seul motif qu'il ne dit pas ce qu’ils auraient aimé entendre ou ne montre pas ce qu’ils auraient aimé voir (alors que le plus souvent le film en dit et montre beaucoup plus que ce qu’ils prétendent). Il est évident que si la question du travestissement n’est pas plus développé dans le film — on pense aux inévitables quiproquos que ce genre de situation engendre habituellement, mais aussi à des problèmes plus basiques, de vraisemblance, touchant, disons, au "quotidien" d’une femme — c’est tout simplement parce qu’elle ne se pose pas aux personnages. Cf. le travelling qui raccorde le plan où l’on voit l’héroïne retirer la bande qui lui permet de dissimuler sa poitrine, dévoilant ainsi sa féminité, avec ce que l’on s’attend être le plan d’un personnage en train de l’épier mais qui en fait est juste là à dépiauter un lapin. Ce "désintérêt" pour le corps de la femme confère au film un côté asexué que vient renforcer la scène de la grange où les personnages (sauf leur chef) apparaissent dépourvus de toute virilité (ça crie et ça pleure — dans Mods on parlait de "chochottes"), semblables à des enfants, espiègles ou rêveurs, visiblement perdus dans ce monde d’adultes (le pire qui soit, celui de la guerre) où tout semble les effrayer, le sexe autant que la mort. C’est pourquoi reprocher à Bozon de ne pas ouvrir davantage son cinéma au monde, comme je l’ai lu également, est un non-sens puisque ce qu’il montre c’est justement la difficulté à être au monde, une inadaptation qui ferait que le burlesque est peut-être le genre auquel se rapprocherait (secrètement) le plus le film. C’est pourquoi aussi la dernière scène qui voit Guillaume Depardieu faire — maladroitement — l’amour à Sylvie Testud est placée en épilogue, comme un post-scriptum. Elle intervient après que Pascal Greggory a dit à l’héroïne que rejoindre son mari, c’est pareil que vouloir mourir, une phrase ambiguë que certains ont interprétée comme une condamnation du mariage alors que Greggory ne fait que rebondir sur ce qu’il venait de dire précédemment (quitter la troupe c’est désirer mourir), et que dès lors peu importe qu’on parte seule ou avec son mari puisque, et c’était là la philosophie du film (c'était déjà celle de Mods), la vie en groupe, en petit groupe s’entend (rien à voir avec le lien social), est encore la meilleure façon de rompre sa solitude sans perdre de son identité. Ce qui évidemment dépasse largement la question de la cinéphilie.

Bonus: les chansons du film (dont L'Allemagne) signées Benjamin Esdraffo et Mehdi Zannad (2), entrecoupées de popsike anglaise des années soixante (teintée de sunshine pop californienne, dixit Bozon — il serait là finalement le "croisement" recherché), bref la pop de John Pantry (ainsi les magnifiques Smokey Wood et Upside Down), mais aussi le Gospel Lane de Robbi Curtice et Tom Payne qui sert de générique de fin et se révèle être la matrice de La Pologne, dernière chanson du film. L'album: .

(1) "Les acteurs ont joué en (son) direct et dans la nature, comme les poilus de 1917, sur des instruments (acoustiques) de fortune fabriqués à partir de matériaux de récupération: guitare "charbonnière", "choucroutophone", violon carré, épinette des Vosges, etc." (Serge Bozon)

(2) Mehdi Zannad (aka Fugu), on le retrouvera dans l'Architecte de Saint-Gaudens (2015), le documentaire de Julie Desprairies et Serge Bozon, dont il a composé la BO, sachant que Zannad est lui-même architecte (il a par ailleurs un sacré coup de crayon!) et qu'il joue ici le rôle de Le Corbusier, lequel avait imaginé en 1945 un projet pour le développement urbanistique de Saint-Gaudens, projet "de cité joyeuse, mêlant bâtiments, fonctionnalité et bonheur de vivre et de travailler ensemble", ce qui ne pouvait qu'inspirer Bozon et Desprairies, autrice déjà des chorégraphies de Mods.

Sinon, sur Mods: cf. Vivre (ensemble) le cinéma.

octobre 01, 2025

Mon journal 9

  La Tour de glace de Lucile Hadžihalilović (2025).

  Notes de septembre.

1er septembre
Ok, les scènes avec l'aspirateur sont marrantes, mais pour le reste, le Fantôme utile c'est quand même une sacrée purge.

9 septembre
Viendra le faux — Il y a deux Sirāt... un premier, qu'on pourrait dire performatif qui, sur fond de rave party et de trip techno, engage le film sur la voie "déroutante" d'un western saharien, avec son côté aventure (tout le monde a fait le rapprochement avec Sorcerer de Friedkin mais aussi les Mad Max de Miller pour ce qui est des camions et de la tronche des raveurs-camionneurs), Laxe y manifestant un vrai talent dans sa façon d'intégrer une intrigue minimaliste dans des décors grandioses (les Gorges du Dadès au Maroc), ainsi qu'à son aspect réaliste/documentaire (les péripéties inhérentes à ce genre d'aventure, évoquant certains westerns d'aujourd'hui comme Meek's Cutoff de Reichardt)... Et puis survient le drame, que je ne dévoilerai pas, sinon que la violence de son surgissement imposait, pour ne pas réduire la chose à un simple coup de force scénaristique, de faire ensuite basculer le film dans une autre dimension, soit un second Sirāt, l'autre côté du "pont", marqué par le passage des montagnes au désert, une deuxième partie qui, elle, gagnerait en fiction (sinon en spiritualité). Las, Laxe lâche le morceau, et ses personnages avec, qu'il enferme dans la cage d'un dispositif des plus déplaisant. Non content de prolonger son film dans une sorte d'état flottant, telle une interminable "onde de choc" (Sergi López, massif au milieu du désert, n'est pas sans rappeler Depardieu dans Valley of Love de Nicloux), ce qui aurait été un moindre mal, le réalisateur de Viendra le feu en vient à "saboter" — littéralement — son récit, jusqu'à transformer les personnages en pauvres figures de PlayStation. Tableau plus enrageant que sidérant qu'un dernier plan, beau mais artificiel en diable, ne saurait rattraper.

12 septembre
Est-ce le portrait "La Petite Irène", la fille au ruban bleu, que Fuki accroche à la fin (ou presque) de Renoir, justifiant le titre du film? Je pose la question car je n'ai pas très bien vu, m'étant à moitié endormi à ce moment du film. Il faut dire que Renoir n'a rien de vivifiant tant Hayakawa, trop soucieuse d'appliquer cette touche "impressionniste" qui doit caractériser son film, ne fait qu'entretenir une idée, celle donc de l'impressionnisme, sans jamais vraiment l'exploiter. De sorte que le film, suite d'impressions relatives aux activités d'une fillette durant ses vacances d'été (comment occuper son temps, alors que le père est hospitalisé et la mère débordée), s'égrène joliment dans la pure vacance (au risque de la vacuité), davantage qu'il n'arrive à transmettre cette impression de l'éphémère à laquelle on s'attendait et qui est propre aussi à l'enfance. De sorte que le film se serait intitulé "Gâteau aux fraises", "Poisson rouge", "Feu de camp", etc. que cela n'aurait pas changé grand-chose, on serait resté dans l'impression de départ (appelée seulement à se déplier) d'une vie qui s'écoule lentement, doucement... sans qu'il ne ressorte — même si Hayakawa s'en sort mieux finalement qu'un Kore-eda — ce dont Shinji Sōmai arrivait si bien à capter (pensons à des films comme Déménagement ou Jardin d'été): l'intensité du moment présent, cet art du saisissement qui conjugue à la notion d'éphémère la vivacité d'une notation.

14 septembre
Renoir (suite)... "La petite fille qui hennit" aurait été un bien meilleur titre, écho aux moments de vitalité (enfantine) qui se dégagent du film, s'ils avaient été plus nombreux, clin d'œil aussi au jeu de mots de Truffaut caché dans le titre "Si jeunes et des Japonais" ("si jeunes — jaunes? — et déjà poneys") de son texte sur Passions juvéniles, un film japonais des années cinquante. Texte où le futur réalisateur des Quatre Cents Coups en profitait pour affirmer sa conception du cinéma, laquelle ici prenait la forme d'une véritable profession de foi. Je cite: "(...) Avec lucidité, on doit admettre que les plus grands cinéastes du monde sont des plus de cinquante ans, mais il importe de pratiquer le cinéma de son âge et de viser si l'on a vingt-cinq ans — soit l'âge de Truffaut quand il écrit ces lignes — et que l'on admire Dreyer, à égaler le Vampyr plutôt qu'Ordet. La jeunesse est pressée, la jeunesse est impatiente, la jeunesse est bourrée de petites idées. Les jeunes cinéastes doivent donc tourner des films follement rapides, où les personnages sont pressés, où les plans se bousculent pour arriver, chacun avant l'autre au mot fin, des films pleins de petites idées. Plus tard les petites idées disparaîtront au profit d'une seule grande idée et les critiques pleurnicheront sur le vieillissement du cinéaste "qui promettait", mais qu'importe!" (Cahiers du cinéma n°83, mai 1958). Et Truffaut de conclure (après un passage où il ironise sur l'IDHEC et la "mentalité-assistant" qu'on y enseigne, à commencer par les tournages longs, la majorité du temps en studio): "Passion Juvénile (sic) a été tourné en dix-sept jours."
Et à mon tour de conclure que Chie Hayakawa, quand bien même elle aurait cinquante ans et que la question du vieillissement l'intéresse (cf. son premier long, Plan 75), est encore trop "jeune" artistiquement parlant, qu'elle n'a pas l'âge, en termes de plénitude, pour prétendre au film "à une seule grande idée" (dans Renoir l'idée d'impressionnisme). Cela dit, elle n'a pas non plus vingt-cinq ans. Renoir est un film d'entre deux âges... qui manque à la fois d'une certaine impétuosité, relative à l'enfance qui y est décrite, et du regard éclairé, qui sied à l'artiste vieillissant, pour suggérer par petites touches ce sentiment de l'éphémère qui est propre à l'impressionnisme comme à l'enfance.

17 septembre
Vu Oui, voui... et comment dire... Non pas que la critique m'a (encore) "enfumer" (avec un "r", l'air de prendre le spectateur pour une bille), parce que je savais à quoi m'en tenir. De Lapid je n'avais vu que les deux derniers films, Synonymes, que je n'avais pas tellement aimé, et le Genou d'Ahed, que je n'avais pas aimé du tout. Aussi ne m'attendais-je pas à sauter au plafond... Alors? Alors je n'ai pas sauté au plafond (sauf lors du prologue, l'avant Oui où, à cause du son, mon "ouïe" en a pris un coup et que j'ai failli dire non et sortir). Lapid pratique un cinéma que je n'aime pas, non parce qu'il procède de la caricature mais parce que la caricature, c'est une question de goût, des fois ça plait, des fois ça plaît pas... et la caricature chez Lapid elle ne me plaît pas, comme ce Oui gueulé tout du long, surtout dans les parties I (La belle vie) et III (La nuit), la partie II (Le chemin) trouvant un peu grâce à mes yeux (et à mes oreilles) parce que Lapid se calme, qu'il prend de la distance et introduit un beau personnage, enfin sympathique parce qu'incarnation du passé (Leah, l'amour de jeunesse d'Y). Si le propos du film est plutôt clair, ne prêtant pas vraiment à discussion (Lapid confronte l'amoralité du personnage principal, à l'instar de nombreux Israéliens, à l'immoralité de ceux qui, assoiffés de vengeance depuis le massacre du 7 octobre, prêchent la destruction de Gaza), c'est dans la forme que ça pêche. Une forme qui n'a rien à voir avec celle d'un Lynch ou d'un Godard... Il ne suffit pas de faire chanter "Love Me Tender" à son personnage ou de le chausser de bottines en peau de serpent, pour convoquer Sailor et Lula, et que s'il y a du Godard chez Lapid ce serait plutôt celui, grotesque et quand même très couillon, de Vladimir et Rosa... A bien regarder, Lapid est plus proche d'un Östlund ou d'un Lantimos (ce qui n'est pas un compliment), en plus trépidant bien sûr, qui ferait de Oui une sorte de musical caustique... oui mais au rythme si incohérent qu'on le dirait filmé par un Moretti sous amphète. Bref n'importe quoi.

20 septembre
Ouais ouais. Sur Oui de Nadav Lapid.

21 septembre
Malgré son côté méta, glacé et un peu trop "poétisant", la Tour de glace de Lucile Hadžihalilović dégage un charme certain. Par les atours de la mise en scène et la grâce de ses interprètes (bah oui, les atours et la grâce de la Tour de glace), Marion Cotillard, en Reine des neiges, dont la coiffure fait penser à Delphine Seyrig dans Peau d'Ane, alors qu'en brune, dans le rôle de l'actrice, elle ressemble plutôt à Nicoletta (lol)... mais aussi Clara Pacini (inconnue jusque-là), et son beau visage de jeune page, dont le regard accroche somptueusement la lumière (la photo est signée Jonathan Ricquebourg qui a éclairé, entre autres, la Mort de Louis XIV de Serra). C'est un fait, il y a quelque chose d'hypnotique dans ce film... vos paupières sont lourdes, très lourdes (comme disait Dominique Webb à la télé), d'ailleurs j'ai dû m'endormir par moments, comme avec Belle Dormant d'Arietta, mais comme ça procédait de l'envoûtement voulu, j'étais raccord avec le film et sa féerie... et ça m'a plu.

22 septembre
Une explication possible à la présence de toutes ces Volkswagen Coccinelle dans l'Agent secret, le film de Kleber Mendonça Filho, est — outre le fait que le modèle était très populaire au Brésil dans les années 70 — que son nom brésilien, Fusca, veut dire également "flingue", autrement dit qu'à cette époque les flingues circulaient en nombre dans les rues. Sinon l'Agent secret est un très beau film (alors que je n'avais pas trop aimé Aquarius et pas du tout Bacurau — il faudrait quand même que je voie les Bruits de Recife), même si le "réalisme magique" qui sied au cinéma latino-américain (en vigueur ces derniers temps avec des films comme La flor, Trenque Lauquen ou encore Los delincuentes) est parfois un peu lourdaud (cf. l'histoire de "la jambe poilue", par contre le fil rouge que constitue Jaws passe mieux)... mais bon, défaut mineur si on considère tout le reste, à commencer par le thème principal développé par Mendonça Filho, celui du temps, de l'archive et de la mémoire, qui donne toute sa densité au film, son côté "modianesque" pourrait-on dire. J'y reviendrai.

28 septembre
Paysage après le bataille. Sur One Battle After Another de P.T. Anderson.

30 septembre
Revu Madame Hyde de Serge Bozon — Transmission, partage, interaction... Madame Hyde est un film étonnant, à tout point de vue, qui va à l’essentiel, sur l’école, le savoir, apprendre à réfléchir, non sans détours, trouées et autres ruptures, comme si le film, pour aller directement de son point de départ (Madame Géquil: Isabelle Huppert en professeure de physique-chimie, effacée, dépassée, piètre pédagogue) à son point d’arrivée (une nouvelle Madame Géquil, plus performante mais dont l’énergie s’épuise), en passant par la ligne Malik (l’élève handicapé), devait viser la part réfléchie, secrète, de Madame Géquil, en l’occurrence Madame Hyde, son "négatif" luminescent... et inversement: du Malik mauvais élève au Malik bon élève, en passant par la ligne Géquil/Hyde... Ça se passe en banlieue (les jeunes de la cité, le rap), dans un décor très synthétique et coloré, "matissien" (le lycée), pour parler de choses concrètes (sociales, politiques)... c’est le "challenge/pari" du film, comme faire du TPE en classe de technologie, le tout traversé d’une douce inquiétude, comme dans tous les films de Serge Bozon (même Tip Top et son versant nocturne), la violence, réelle, de la cité se négativant, elle aussi, à travers le beau personnage de M. Géquil (José Garcia), celui qui "pianote"...