
One Battle After Another de Paul Thomas Anderson (2025).
Paysage après la bataille.
Seize ans après... c'est le moment où OBAA démarre vraiment, après une grosse demi-heure menée tambour battant mais aussi au pas de charge, rendant cette partie introductive pas si jouissive que ça, plutôt éreintante, d'autant que reposant moins sur l'idéologie révolutionnaire que sur la dimension sexuelle que PTA lui associe, via le "couple" improbable que finissent par former Perfidia (Teyena Taylor), une des combattantes noires, qu'on qualifiera de fougueuse, du groupe terroriste French 75 (c'est le nom d'un cocktail à base de gin, de jus de citron, de sucre et de champagne!) et le colonel Lockjaw (Sean Penn, impayable), personnage kubrickien, en plus dingo encore, la mâchoire bien serrée (lock-jaw = tétanos), qui pourchasse le groupe et se révèle sexuellement obsédé par Perfidia... laquelle, bah finit par donner naissance à une petite Charlene/Willa, si trognon qu'elle fait craquer Bob (Leonardo DiCaprio), l'amant terroriste, junkie et pour le coup complètement ramolli, de Perfidia. Autant dire que la révolution, sous sa forme terroriste, PTA il s'en fout un peu, celle-ci lui servant avant tout à préparer le terrain pour la "bataille d'après", et que si elle fait retour à la fin ce sera sous une autre forme... L'intérêt du film est ailleurs, dans l'autre bataille donc, le couple père-fille, "ma fille ma bataille" (en même temps c'est le cœur de Vineland, le roman de Pynchon qu'Anderson adapte ici très librement) que vont cette fois former Bob et Willa (Chase Infiniti), qui durant ces seize années s'étaient faits oubliés mais se trouvent de nouveau pourchassés par Lockjaw, toujours aussi cinglé, qui, désireux d'intégrer un groupe de suprémacistes blancs, de vrais nazis (le Club des Aventuriers de Noël), doit pour cela savoir si Willa est sa fille et si c'est le cas la faire disparaître.
C'est à partir de cette configuration, qui n'a rien de très originale, que PTA est le meilleur, quand bien même son film, se poursuivant sur un rythme toujours endiablé mais mieux calibré, emprunte une trajectoire plus classique, plus hollywoodienne, plus proche de Phantom Thread et Licorice Pizza, ses deux derniers films, que de Inherent Vice, sa précédente incursion chez Pynchon. On peut le regretter, mais c'est un fait, c'est sur le terrain coeno-tarantinien que le film gagne en ampleur, tout en conservant son allant du début, aidé en cela par l'apport de nouveaux personnages, à commencer par Benicio Del Toro, en maître de karaté hébergeant clandestinement des familles de migrants mexicains, un Del Toro à la sérénité imperturbable, au point qu'on le dirait sorti, lui, de l'univers de l'autre Anderson (Wes)... Un film où surtout PTA fait montre d'une incroyable maîtrise dans la manière d'agencer, sans temps mort ni hâte excessive, toutes ces péripéties que le récit accumule (ça se passe dans le sud de la Californie, entre frontière et désert) et qu'accompagne la musique de Jonny Greenwood, l'ex guitariste de Radiohead (et musicien attitré du cinéaste), délaissant sa guitare pour un piano des plus percussif, vaguement bartokien par instants... musique qui confère à OBAA, notamment aux scènes d'action, comme les poursuites en bagnoles, une étrangeté saisissante, le point d'orgue étant bien sûr la dernière et longue poursuite à trois (Bob, Willa et celui chargé de la liquider) sur une route qui se met subitement à monter et descendre comme si le décor était devenu un grand parc d'attraction. Le mouvement ondulant ainsi créé (comparable à celui d'une mer agitée — les vagues d'OBAA Beach) est à l'image du rythme très musical épousé par le film. Qui voit la satire pynchonienne, appliquée ici à une Amérique ultra-conservatrice non plus reaganienne mais trumpiste, via sa politique migratoire et ses dérives fascistes, eh bien prendre la forme d'une suite instrumentale (aux percussions de piano s'ajoutent fréquemment des glissandi de cordes, parfois sur fond de mini-symphonie)...
Qui dit suite dit progression, à l'instar du titre, le film passant ainsi, à travers l'itinéraire de Willa, d'une forme de lutte (le terrorisme d'antan, celui de maman, qui était aussi celui de papa, aujourd'hui gros patachon, toujours à la traîne des événements — cf. la séquence un peu longuette du portable impossible à recharger et/ou du mot de passe impossible à se rappeler) à une forme davantage "dans les clous" de la contestation... sans qu'on sache d'ailleurs, PTA ne donnant pas la réponse, s'il s'agit d'un progrès (en termes de fiction, c'est quand même pas très fun, d'ailleurs cette nouvelle forme de lutte, qui marque notre époque, on ne la verra pas) ou tout simplement d'un retour à ce qui existait déjà avant les années 70-80, la lutte armée n'ayant été qu'une parenthèse, violente et vouée à l'échec, dans le combat politique (cf. le beau personnage incarné par Regina Hall). Qui ferait en définitive de OBAA peut-être pas un "simple" retour des choses (quoique... un retour sur la plage) avec tout ce que cela sous-entend de conformisme (étant entendu que l'amour père-fille, si gnangnan soit-il, n'a rien à voir avec le conformisme), mais, quelque part, via la structure choisie par PTA pour son film, un certain éloge du progressisme. Eloge virtuose, ça va sans dire, si virtuose qu'on le croirait par instants bien décidé à tout faire péter... oui mais non, Anderson n'est pas Aster, et c'est tant mieux.