octobre 01, 2025

Mon journal 9

  La Tour de glace de Lucile Hadžihalilović (2025).

  Notes de septembre.

1er septembre
Ok, les scènes avec l'aspirateur sont marrantes, mais pour le reste, le Fantôme utile c'est quand même une sacrée purge.

9 septembre
Viendra le faux — Il y a deux Sirāt... un premier, qu'on pourrait dire performatif qui, sur fond de rave party et de trip techno, engage le film sur la voie "déroutante" d'un western saharien, avec son côté aventure (tout le monde a fait le rapprochement avec Sorcerer de Friedkin mais aussi les Mad Max de Miller pour ce qui est des camions et de la tronche des raveurs-camionneurs), Laxe y manifestant un vrai talent dans sa façon d'intégrer une intrigue minimaliste dans des décors grandioses (les Gorges du Dadès au Maroc), ainsi qu'à son aspect réaliste/documentaire (les péripéties inhérentes à ce genre d'aventure, évoquant certains westerns d'aujourd'hui comme Meek's Cutoff de Reichardt)... Et puis survient le drame, que je ne dévoilerai pas, sinon que la violence de son surgissement imposait, pour ne pas réduire la chose à un simple coup de force scénaristique, de faire ensuite basculer le film dans une autre dimension, soit un second Sirāt, l'autre côté du "pont", marqué par le passage des montagnes au désert, une deuxième partie qui, elle, gagnerait en fiction (sinon en spiritualité). Las, Laxe lâche le morceau, et ses personnages avec, qu'il enferme dans la cage d'un dispositif des plus déplaisant. Non content de prolonger son film dans une sorte d'état flottant, telle une interminable "onde de choc" (Sergi López, massif au milieu du désert, n'est pas sans rappeler Depardieu dans Valley of Love de Nicloux), ce qui aurait été un moindre mal, le réalisateur de Viendra le feu en vient à "saboter" — littéralement — son récit, jusqu'à transformer les personnages en pauvres figures de PlayStation. Tableau plus enrageant que sidérant qu'un dernier plan, beau mais artificiel en diable, ne saurait rattraper.

12 septembre
Est-ce le portrait "La Petite Irène", la fille au ruban bleu, que Fuki accroche à la fin (ou presque) de Renoir, justifiant le titre du film? Je pose la question car je n'ai pas très bien vu, m'étant à moitié endormi à ce moment du film. Il faut dire que Renoir n'a rien de vivifiant tant Hayakawa, trop soucieuse d'appliquer cette touche "impressionniste" qui doit caractériser son film, ne fait qu'entretenir une idée, celle donc de l'impressionnisme, sans jamais vraiment l'exploiter. De sorte que le film, suite d'impressions relatives aux activités d'une fillette durant ses vacances d'été (comment occuper son temps, alors que le père est hospitalisé et la mère débordée), s'égrène joliment dans la pure vacance (au risque de la vacuité), davantage qu'il n'arrive à transmettre cette impression de l'éphémère à laquelle on s'attendait et qui est propre aussi à l'enfance. De sorte que le film se serait intitulé "Gâteau aux fraises", "Poisson rouge", "Feu de camp", etc. que cela n'aurait pas changé grand-chose, on serait resté dans l'impression de départ (appelée seulement à se déplier) d'une vie qui s'écoule lentement, doucement... sans qu'il ne ressorte — même si Hayakawa s'en sort mieux finalement qu'un Kore-eda — ce dont Shinji Sōmai arrivait si bien à capter (pensons à des films comme Déménagement ou Jardin d'été): l'intensité du moment présent, cet art du saisissement qui conjugue à la notion d'éphémère la vivacité d'une notation.

14 septembre
Renoir (suite)... "La petite fille qui hennit" aurait été un bien meilleur titre, écho aux moments de vitalité (enfantine) qui se dégagent du film, s'ils avaient été plus nombreux, clin d'œil aussi au jeu de mots de Truffaut caché dans le titre "Si jeunes et des Japonais" ("si jeunes — jaunes? — et déjà poneys") de son texte sur Passions juvéniles, un film japonais des années cinquante. Texte où le futur réalisateur des Quatre Cents Coups en profitait pour affirmer sa conception du cinéma, laquelle ici prenait la forme d'une véritable profession de foi. Je cite: "(...) Avec lucidité, on doit admettre que les plus grands cinéastes du monde sont des plus de cinquante ans, mais il importe de pratiquer le cinéma de son âge et de viser si l'on a vingt-cinq ans — soit l'âge de Truffaut quand il écrit ces lignes — et que l'on admire Dreyer, à égaler le Vampyr plutôt qu'Ordet. La jeunesse est pressée, la jeunesse est impatiente, la jeunesse est bourrée de petites idées. Les jeunes cinéastes doivent donc tourner des films follement rapides, où les personnages sont pressés, où les plans se bousculent pour arriver, chacun avant l'autre au mot fin, des films pleins de petites idées. Plus tard les petites idées disparaîtront au profit d'une seule grande idée et les critiques pleurnicheront sur le vieillissement du cinéaste "qui promettait", mais qu'importe!" (Cahiers du cinéma n°83, mai 1958). Et Truffaut de conclure (après un passage où il ironise sur l'IDHEC et la "mentalité-assistant" qu'on y enseigne, à commencer par les tournages longs, la majorité du temps en studio): "Passion Juvénile (sic) a été tourné en dix-sept jours."
Et à mon tour de conclure que Chie Hayakawa, quand bien même elle aurait cinquante ans et que la question du vieillissement l'intéresse (cf. son premier long, Plan 75), est encore trop "jeune" artistiquement parlant, qu'elle n'a pas l'âge, en termes de plénitude, pour prétendre au film "à une seule grande idée" (dans Renoir l'idée d'impressionnisme). Cela dit, elle n'a pas non plus vingt-cinq ans. Renoir est un film d'entre deux âges... qui manque à la fois d'une certaine impétuosité, relative à l'enfance qui y est décrite, et du regard éclairé, qui sied à l'artiste vieillissant, pour suggérer par petites touches ce sentiment de l'éphémère qui est propre à l'impressionnisme comme à l'enfance.

17 septembre
Vu Oui, voui... et comment dire... Non pas que la critique m'a (encore) "enfumer" (avec un "r", l'air de prendre le spectateur pour une bille), parce que je savais à quoi m'en tenir. De Lapid je n'avais vu que les deux derniers films, Synonymes, que je n'avais pas tellement aimé, et le Genou d'Ahed, que je n'avais pas aimé du tout. Aussi ne m'attendais-je pas à sauter au plafond... Alors? Alors je n'ai pas sauté au plafond (sauf lors du prologue, l'avant Oui où, à cause du son, mon "ouïe" en a pris un coup et que j'ai failli dire non et sortir). Lapid pratique un cinéma que je n'aime pas, non parce qu'il procède de la caricature mais parce que la caricature, c'est une question de goût, des fois ça plait, des fois ça plaît pas... et la caricature chez Lapid elle ne me plaît pas, comme ce Oui gueulé tout du long, surtout dans les parties I (La belle vie) et III (La nuit), la partie II (Le chemin) trouvant un peu grâce à mes yeux (et à mes oreilles) parce que Lapid se calme, qu'il prend de la distance et introduit un beau personnage, enfin sympathique parce qu'incarnation du passé (Leah, l'amour de jeunesse d'Y). Si le propos du film est plutôt clair, ne prêtant pas vraiment à discussion (Lapid confronte l'amoralité du personnage principal, à l'instar de nombreux Israéliens, à l'immoralité de ceux qui, assoiffés de vengeance depuis le massacre du 7 octobre, prêchent la destruction de Gaza), c'est dans la forme que ça pêche. Une forme qui n'a rien à voir avec celle d'un Lynch ou d'un Godard... Il ne suffit pas de faire chanter "Love Me Tender" à son personnage ou de le chausser de bottines en peau de serpent, pour convoquer Sailor et Lula, et que s'il y a du Godard chez Lapid ce serait plutôt celui, grotesque et quand même très couillon, de Vladimir et Rosa... A bien regarder, Lapid est plus proche d'un Östlund ou d'un Lantimos (ce qui n'est pas un compliment), en plus trépidant bien sûr, qui ferait de Oui une sorte de musical caustique... oui mais au rythme si incohérent qu'on le dirait filmé par un Moretti sous amphète. Bref n'importe quoi.

20 septembre
Ouais ouais. Sur Oui de Nadav Lapid.

21 septembre
Malgré son côté méta, glacé et un peu trop "poétisant", la Tour de glace de Lucile Hadžihalilović dégage un charme certain. Par les atours de la mise en scène et la grâce de ses interprètes (bah oui, les atours et la grâce de la Tour de glace), Marion Cotillard, en Reine des neiges, dont la coiffure fait penser à Delphine Seyrig dans Peau d'Ane, alors qu'en brune, dans le rôle de l'actrice, elle ressemble plutôt à Nicoletta (lol)... mais aussi Clara Pacini (inconnue jusque-là), et son beau visage de jeune page, dont le regard accroche somptueusement la lumière (la photo est signée Jonathan Ricquebourg qui a éclairé, entre autres, la Mort de Louis XIV de Serra). C'est un fait, il y a quelque chose d'hypnotique dans ce film... vos paupières sont lourdes, très lourdes (comme disait Dominique Webb à la télé), d'ailleurs j'ai dû m'endormir par moments, comme avec Belle Dormant d'Arietta, mais comme ça procédait de l'envoûtement voulu, j'étais raccord avec le film et sa féerie... et ça m'a plu.

22 septembre
Une explication possible à la présence de toutes ces Volkswagen Coccinelle dans l'Agent secret, le film de Kleber Mendonça Filho, est — outre le fait que le modèle était très populaire au Brésil dans les années 70 — que son nom brésilien, Fusca, veut dire également "flingue", autrement dit qu'à cette époque les flingues circulaient en nombre dans les rues. Sinon l'Agent secret est un très beau film (alors que je n'avais pas trop aimé Aquarius et pas du tout Bacurau — il faudrait quand même que je voie les Bruits de Recife), même si le "réalisme magique" qui sied au cinéma latino-américain (en vigueur ces derniers temps avec des films comme La flor, Trenque Lauquen ou encore Los delincuentes) est parfois un peu lourdaud (cf. l'histoire de "la jambe poilue", par contre le fil rouge que constitue Jaws passe mieux)... mais bon, défaut mineur si on considère tout le reste, à commencer par le thème principal développé par Filho, celui du temps, de l'archive et de la mémoire, qui donne toute sa densité au film, son côté "modianesque" pourrait-on dire. J'y reviendrai.

28 septembre
Paysage après le bataille. Sur One Battle After Another de P.T. Anderson.

30 septembre
Revu Madame Hyde de Serge Bozon — Transmission, partage, interaction... Madame Hyde est un film étonnant, à tout point de vue, qui va à l’essentiel, sur l’école, le savoir, apprendre à réfléchir, non sans détours, trouées et autres ruptures, comme si le film, pour aller directement de son point de départ (Madame Géquil: Isabelle Huppert en professeure de physique-chimie, effacée, dépassée, piètre pédagogue) à son point d’arrivée (une nouvelle Madame Géquil, plus performante mais dont l’énergie s’épuise), en passant par la ligne Malik (l’élève handicapé), devait viser la part réfléchie, secrète, de Madame Géquil, en l’occurrence Madame Hyde, son "négatif" luminescent... et inversement: du Malik mauvais élève au Malik bon élève, en passant par la ligne Géquil/Hyde... Ça se passe en banlieue (les jeunes de la cité, le rap), dans un décor très synthétique et coloré, "matissien" (le lycée), pour parler de choses concrètes (sociales, politiques)... c’est le "challenge/pari" du film, comme faire du TPE en classe de technologie, le tout traversé d’une douce inquiétude, comme dans tous les films de Serge Bozon (même Tip Top et son versant nocturne), la violence, réelle, de la cité se négativant, elle aussi, à travers le beau personnage de M. Géquil (José Garcia), celui qui "pianote"...