
Conte d'automne d'Eric Rohmer (1998).
Le point d'orgue.
Notes sur le cycle "Contes des 4 saisons" (1990-1998).
Dans l'ordre: printemps, hiver, été, automne. Quatre saisons qui font de la "série", avec ses variations (sur différents thèmes, contrairement aux Contes moraux, et qui se répondent, contrairement aux Comédies et proverbes), ses rimes et ses échos, un tout, le Grand Conte, un sommet d'ingéniosité narrative et de maïeutique polychrome: vert, blanc, bleu, jaune... Loin des aspects faussement marivaudiens de l’œuvre (chez Rohmer c’est moins le jeu de l’amour et du hasard qui importe que, finalement, l’amour du jeu et du hasard), loin de l’éternel débat entre classique et moderne (que Rohmer, en maître dialecticien, a fini par rendre inopérant)... mais un système, fondé sur le désir et ses pérégrinations, que soutient la parole, mélange d’intrigues et de chausse-trappes, de chassés-croisés et de faux pas, de hasards et de possibles; et à côté de cela: des formes, des couleurs, une sorte de traité esthétique qui permet d'appréhender chaque film selon des critères chromatiques, climatiques, voire cosmologiques, faisant du système rohmérien une véritable maison, une architecture de pure sensation, à la fois solide et toujours en mouvement, et aujourd'hui parfaitement finie, car c'est ça aussi qui est beau chez Rohmer lorsqu'on regarde l'œuvre dans sa totalité: l'impression d'un accomplissement. Tout y semble achevé, non seulement les cycles — Contes et Comédies —, mais le reste également, jusqu'au dernier film, prélude et point final.
Printemps, hiver, été, automne. L'ordre est bon. C'est le printemps qui ouvre la série, et l'automne qui la referme. Entre les deux, l'hiver et l'été, peu importe l'ordre, l'essentiel est dans l'exécution, qui va du vert au doré, des prémices à l'arrière-saison, ce qui passe nécessairement par le bleu, le bleu azur, ensoleillé, quelle que soit la place du blanc, un blanc cassé, tirant même sur le gris, couleur qui de toute façon n'est pas une couleur. C'est le cycle de la vie, dans son processus de maturation, la pente ascendante (le déclin n'est pas rohmérien), c'est aussi le cycle d'une œuvre, dans sa dimension organique. Et si l'hiver y arrive trop tôt, c'est que, ayant valeur de synthèse — le blanc, synthèse de toutes les couleurs —, il aurait dû (théoriquement) terminer le cycle, qui dès lors se serait conclu sur cette réplique de Rosette, à l'adresse de Charlotte Véry: "Je sentais bien que tu sentais qu'il allait se passer des choses..." et non sur celle de Béatrice Romand à la fin de Conte d'automne: "S'il tient à moi, si je tiens à lui, on se reverra." Certes, ce sont les aléas (en particulier dans le choix des comédiens) qui ont fait que Conte d'hiver a été tourné avant Conte d'été et Conte d'automne, mais ça ne change rien. Non seulement parce que chez Rohmer, on le sait, tout est fortuit sauf le hasard, mais surtout parce que Conte d'hiver est plus qu'un conte d'hiver (un conte divers?). Déjà en s'immisçant dans les autres contes — via quelques touches météorologiques, comme la brume qui empêche de voir la forêt de Fontainebleau dans Conte de printemps ou encore le mont Ventoux dans Conte d'automne... (pour Conte d'été, Rohmer aurait aimé des ciels d'orage, qu'il pleuve pendant le tournage, comme il se doit en Bretagne, sauf qu'il a fait beau du début à la fin) — mais, plus encore, du fait que ce conte est lui-même un "condensé" des quatre saisons. Ainsi le prologue qui se passe en plein été et déjà en Bretagne, préfigurant le film suivant, puis l'histoire proprement dite qui commence quelques années après, à l'entrée de l'hiver, l'automne faisant office de parenthèse (une parenthèse de cinq ans), et non d'épilogue, ce qui aurait marqué la fin de l'histoire, cette histoire d'amour vécue pendant les vacances, et qui donc renaîtra, au décours d'un hiver aux allures finalement de... printemps, pour ce qui est de l'amour.
Cette position paradoxale de l'hiver témoigne du caractère non linéaire de l'ensemble, car basé sur des oppositions et des effets de symétrie (dixit Rohmer), qui voit Conte de printemps et Conte d'automne s'accorder autour d'un même dispositif (une possible machination), d'un même motif (le remariage), et encadrer Conte d'hiver et Conte d'été qui, eux, s'appuient sur un schéma différent: le "polygone amoureux" (pas un triangle mais un quadrilatère, un losange peut-être, pour rappeler la société de production de Rohmer), le schéma d'été (un homme/trois femmes) étant le miroir inversé de celui d'hiver (une femme/trois hommes). Une construction générale qui, au final, n'a rien d'évident, relevant plutôt d'un ordre secret, qui fait que si Rohmer a conçu son cycle dans l'ordre "attendu" des saisons (du printemps à l'hiver), il l'a tourné en fonction d'autres critères, tributaire de circonstances à la fois extérieures et, disons, plus intimes, qu'il ne nous appartient pas d'explorer, mais dont il est clair qu'elles confèrent au cycle une part de mystère qui le rend plus extraordinaire encore que chacun des films, pourtant admirables, qui le composent. Le "tout" plus éblouissant que la somme des parties, ce que n'offraient pas les cycles précédents. Le printemps est bien là, au commencement, parce qu'il ne peut en être autrement, mais c'est l'hiver qui suit, comme un retour de balancier, parce que l'été se fait attendre, un été tardif, se prolongeant du coup à l'automne, expliquant que les raisins, à l'heure des vendanges, y soient encore verts. La fluidité de l'ensemble est conservée, mieux: elle se trouve renforcée, qui tient, dans sa combinatoire même, à l'harmonie subtile qui s'y dégage. Harmonie au sens musical du terme. N'oublions pas que Rohmer, s'il a tourné, après "l'hiver" et en attendant "l'été", l'Arbre, le Maire et la Médiathèque, puis les Rendez-vous de Paris, il a aussi publié, une fois l'été passé mais dont l'écriture a dû accompagner l'ensemble du cycle, De Mozart en Beethoven, un "essai sur la notion de profondeur en musique", dans lequel l'auteur célébrait l'élan de la valse mozartienne, comme manifestation du désir, mais aussi les derniers quatuors de Beethoven, plus beaux encore car empreints d'une joie plus profonde, libérée de toute nécessité extérieure, de toute contrainte. On n'ira pas jusqu'à comparer les derniers quatuors et les Contes des 4 saisons, en particulier le premier, pour son rapport à la musique, introduite dès le générique avec "Le Printemps" (la sonate n°5 de Beethoven), et surtout le quatrième, devenu le deuxième, via l'allégresse dans laquelle il se termine, celle qui fait pleurer de joie... sinon de rappeler — non sans malice — que la place interchangeable du Conte d'hiver dans la chronologie du cycle est peut-être un écho à celle du 13ème quatuor, achevé après le 15ème et même le 16ème (si l'on tient compte du finale de substitution), le dernier des derniers quatuors.
Printemps, hiver, été, automne. L'ordre est bon. C'est le printemps qui ouvre la série, et l'automne qui la referme. Entre les deux, l'hiver et l'été, peu importe l'ordre, l'essentiel est dans l'exécution, qui va du vert au doré, des prémices à l'arrière-saison, ce qui passe nécessairement par le bleu, le bleu azur, ensoleillé, quelle que soit la place du blanc, un blanc cassé, tirant même sur le gris, couleur qui de toute façon n'est pas une couleur. C'est le cycle de la vie, dans son processus de maturation, la pente ascendante (le déclin n'est pas rohmérien), c'est aussi le cycle d'une œuvre, dans sa dimension organique. Et si l'hiver y arrive trop tôt, c'est que, ayant valeur de synthèse — le blanc, synthèse de toutes les couleurs —, il aurait dû (théoriquement) terminer le cycle, qui dès lors se serait conclu sur cette réplique de Rosette, à l'adresse de Charlotte Véry: "Je sentais bien que tu sentais qu'il allait se passer des choses..." et non sur celle de Béatrice Romand à la fin de Conte d'automne: "S'il tient à moi, si je tiens à lui, on se reverra." Certes, ce sont les aléas (en particulier dans le choix des comédiens) qui ont fait que Conte d'hiver a été tourné avant Conte d'été et Conte d'automne, mais ça ne change rien. Non seulement parce que chez Rohmer, on le sait, tout est fortuit sauf le hasard, mais surtout parce que Conte d'hiver est plus qu'un conte d'hiver (un conte divers?). Déjà en s'immisçant dans les autres contes — via quelques touches météorologiques, comme la brume qui empêche de voir la forêt de Fontainebleau dans Conte de printemps ou encore le mont Ventoux dans Conte d'automne... (pour Conte d'été, Rohmer aurait aimé des ciels d'orage, qu'il pleuve pendant le tournage, comme il se doit en Bretagne, sauf qu'il a fait beau du début à la fin) — mais, plus encore, du fait que ce conte est lui-même un "condensé" des quatre saisons. Ainsi le prologue qui se passe en plein été et déjà en Bretagne, préfigurant le film suivant, puis l'histoire proprement dite qui commence quelques années après, à l'entrée de l'hiver, l'automne faisant office de parenthèse (une parenthèse de cinq ans), et non d'épilogue, ce qui aurait marqué la fin de l'histoire, cette histoire d'amour vécue pendant les vacances, et qui donc renaîtra, au décours d'un hiver aux allures finalement de... printemps, pour ce qui est de l'amour.
Cette position paradoxale de l'hiver témoigne du caractère non linéaire de l'ensemble, car basé sur des oppositions et des effets de symétrie (dixit Rohmer), qui voit Conte de printemps et Conte d'automne s'accorder autour d'un même dispositif (une possible machination), d'un même motif (le remariage), et encadrer Conte d'hiver et Conte d'été qui, eux, s'appuient sur un schéma différent: le "polygone amoureux" (pas un triangle mais un quadrilatère, un losange peut-être, pour rappeler la société de production de Rohmer), le schéma d'été (un homme/trois femmes) étant le miroir inversé de celui d'hiver (une femme/trois hommes). Une construction générale qui, au final, n'a rien d'évident, relevant plutôt d'un ordre secret, qui fait que si Rohmer a conçu son cycle dans l'ordre "attendu" des saisons (du printemps à l'hiver), il l'a tourné en fonction d'autres critères, tributaire de circonstances à la fois extérieures et, disons, plus intimes, qu'il ne nous appartient pas d'explorer, mais dont il est clair qu'elles confèrent au cycle une part de mystère qui le rend plus extraordinaire encore que chacun des films, pourtant admirables, qui le composent. Le "tout" plus éblouissant que la somme des parties, ce que n'offraient pas les cycles précédents. Le printemps est bien là, au commencement, parce qu'il ne peut en être autrement, mais c'est l'hiver qui suit, comme un retour de balancier, parce que l'été se fait attendre, un été tardif, se prolongeant du coup à l'automne, expliquant que les raisins, à l'heure des vendanges, y soient encore verts. La fluidité de l'ensemble est conservée, mieux: elle se trouve renforcée, qui tient, dans sa combinatoire même, à l'harmonie subtile qui s'y dégage. Harmonie au sens musical du terme. N'oublions pas que Rohmer, s'il a tourné, après "l'hiver" et en attendant "l'été", l'Arbre, le Maire et la Médiathèque, puis les Rendez-vous de Paris, il a aussi publié, une fois l'été passé mais dont l'écriture a dû accompagner l'ensemble du cycle, De Mozart en Beethoven, un "essai sur la notion de profondeur en musique", dans lequel l'auteur célébrait l'élan de la valse mozartienne, comme manifestation du désir, mais aussi les derniers quatuors de Beethoven, plus beaux encore car empreints d'une joie plus profonde, libérée de toute nécessité extérieure, de toute contrainte. On n'ira pas jusqu'à comparer les derniers quatuors et les Contes des 4 saisons, en particulier le premier, pour son rapport à la musique, introduite dès le générique avec "Le Printemps" (la sonate n°5 de Beethoven), et surtout le quatrième, devenu le deuxième, via l'allégresse dans laquelle il se termine, celle qui fait pleurer de joie... sinon de rappeler — non sans malice — que la place interchangeable du Conte d'hiver dans la chronologie du cycle est peut-être un écho à celle du 13ème quatuor, achevé après le 15ème et même le 16ème (si l'on tient compte du finale de substitution), le dernier des derniers quatuors.
Où est passé le rouge?
Donc un cycle de maturation. Du vert très vert, printanier, au vert doré, automnal, en passant par le bleu, celui du ciel en été. Et le blanc, le blanc de l'hiver, qui serait la synthèse. Sauf que — 1) pour faire du blanc, il faut des couleurs primaires, en l'occurrence du vert, du bleu et du rouge — 2) la couleur de l'automne n'est pas une couleur primaire, c'est une couleur secondaire, mêlant le vert, le rouge et le jaune — 3) dans Conte d'automne, le vert est très présent, fruit, on l'a vu, d'un été qui aurait débordé sur l'automne, les vignes se trouvant encore vertes au moment des vendanges, là où elles auraient dues être rouges (ce sont celles de la vallée du Rhône). Bref, le rouge, c'est ce qu'il manque dans Conte d'automne et, puisque c'est dans ce conte qu'il avait sa place, on dira, plus généralement, que c'est la couleur qui manque à l'ensemble du cycle. Du moins, au niveau du paysage. Car du rouge, il y en a tout de même, mais en tant que valeur ajoutée, sous forme de petites taches, judicieusement réparties dans le tableau. Où exactement? Eh bien, à chaque fois, au niveau d'un vêtement (je pense tout à coup, mais sans rapport avec Rohmer, à la robe rouge des juges dans l'Argent de Bresson, seul rouge du film). Ainsi, en remontant le cycle: le pull (couleur... bordeaux ou lie-de-vin!) de Béatrice Romand dans Conte d'automne, le maillot de bain (deux pièces) d'Amanda Langlet dans Conte d'été, l'écharpe (et le bonnet) de la petite Elise, la fille de Charlotte Véry dans Conte d'hiver et la jupe de Florence Darel dans Conte de printemps. Du rouge ("à doses homéopathiques", aurait dit Rohmer) pour rééquilibrer, sur le plan chromatique, le tableau et s'harmoniser avec — dans l'autre sens, cette fois — le vert, le blanc, le bleu et le vert-doré, surtout le vert et le bleu, les deux couleurs dominantes, une façon de retrouver les couleurs primaires évoquées plus haut: le vert, le bleu et le rouge, les couleurs préférées de Matisse, le peintre préféré de Rohmer.
Mais pourquoi des vêtements? Disons d'abord que des trois couleurs élémentaires, le rouge est de loin la plus discrète dans la nature et qu'elle ne s'y révèle que par "accident", pur effet de contraste. Ensuite, que les quatre vêtements rouges, ainsi repérés, sont des vêtements de saison (jupe/printemps, écharpe/hiver, maillot de bain/été, pull/automne), ce qui les intègre malgré tout au décor naturel. Enfin, et surtout, que ces vêtements apportent l'élément de matière nécessaire pour faire contrepoint à l'esprit, sur quoi est fondé tout le cinéma de Rohmer, cette "pensée" qui est le moteur de ses films, quelle que soit la forme qu'elle y prend. De sorte que le "vêtement rouge", s'il apparaît comme le petit plus dans le tableau, l'est à double titre: en tant que couleur rouge, touche d'insurrection contre la "tyrannie" du vert et du bleu; mais aussi en tant que textile, créant une sorte de tactilité qui s'oppose aux impressions purement chromatiques et climatiques, elles, impalpables, que distille chacun des contes. Soit l'élément en relief, certes dissonant mais indispensable pour que l'harmonie d'ensemble y gagne en intensité.
Voilà pour l'aspect esthétique. Qu'on ne saurait pour autant dissocier du reste, de ce qui se dit dans chaque film, et comment cela est dit. Ces petites notes de rouge sont l'équivalent des discordances (quiproquos, lapsus et autres confusions) qui parsèment le discours des personnages, lui-même empreint de circonlocutions, et font tout le sel de la parole chez Rohmer. Et ce qui est vrai pour la parole l'est aussi pour le geste. On sait l'extrême attention porté par le cinéaste aux gestes de ses actrices, des gestes qui font partie intégrante des personnages qu'elles incarnent (parfois de façon compulsive, comme Marie Rivière dans la Femme de l'aviateur, se passant systématiquement la main dans les cheveux lorsqu'elle s'exprime). Or, contrastant avec ces gestes, qui pour Rohmer renvoient à une grâce spécifiquement féminine, il y a ceux de leurs homologues masculins, trahissant par moments une évidente gaucherie — je pense principalement à Hugues Quester dans Conte de printemps et bien sûr Melvil Poupaud dans Conte d'été —, ce qui apparaît comme une forme de désaccord dans la gestuelle du film, à l'instar des taches rouges et des "ratés" de la parole, sans que cela signifie nécessairement une contradiction entre ce que dit le personnage et ce que révèlent ses gestes. Simplement une rupture, légère mais perceptible, qui ne peut qu'agrémenter la "chorégraphie" de l'ensemble.
Et les digressions philosophiques? Ne pourrait-on les interpréter de la même manière, comme des "heurts" dans la philosophie générale qui imprègne chaque film, à travers les joutes qu'elles provoquent. Avec cette particularité qu'il y aurait dans la succession des contes, et des saisons, comme un abandon progressif du savoir et du "bien-dire" pour quelque chose de plus intuitif. Une façon de revenir à la question du début concernant l'ordre des saisons et la place de Conte d'hiver. Reprenons. C'est dans Conte de printemps, le premier des contes, où l'on parle le plus de philosophie, à travers notamment la discussion entre Jeanne et Eve: il y est question de Kant, du transcendantal, de jugement synthétique a priori... En contrechamp: la musique, celle de Schumann jouée par Natacha, qui joue aussi les "entremetteuses" entre Jeanne, jeune prof de philo, et son père. Dans Conte d'été, qui suit, pas de références philosophiques, mais de longues discussions entre Gaspard et Margot, tout en se promenant au bord de la mer, sur le thème de l'indécision dans les sentiments amoureux, écho possible à Kierkegaard... En contrechamp: une chanson, "Fille de corsaire", écrite par Gaspard qui, courage fuyons, se dérobera au moment du choix. Dans Conte d'automne, enfin, pas de références philosophiques non plus... pire: le professeur de philo y est discrédité par son ex-maîtresse qui fut aussi son élève mais préfère dorénavant parler philo avec Magali, la viticultrice qui, sur la nature, la vie, la pensée, lui dit des choses beaucoup plus profondes que celles qu'il pouvait lui dire... Et pas de contrechamp, on reste au milieu des plants de vigne où pousse le muflier sauvage, comme le précise Isabelle (initiée par Magali) à Gérald, qu'elle a rencontré dans le but justement de lui faire rencontrer Magali... Et puis Conte d'hiver. Où là par contre on reparle philo, via Pascal et son fameux "pari", leitmotiv rohmérien, entre Loïc, l'intellectuel, et Félicie, qui a décidé de le quitter pour un autre, dans l'attente d'un troisième qui, dialectique oblige, n'est autre que le premier. En contrechamp: Shakespeare, dont la pièce Le Conte d'hiver fait aussi du dramaturge un philosophe de la nature. Que conclure, si ce n'est que Conte d'hiver ne pouvait être le dernier des contes (ni le premier d'ailleurs), et suivre ainsi l'ordre des saisons. Qu'il existait une autre approche, celle qui valorise la nature, justifiant que le cycle des 4 saisons s'achève avec Conte d'automne. Et Conte d'hiver de s'insérer alors entre le printemps et l'automne, film-contrepoint dans l'harmonie du cycle.
PS. Cette place de l'hiver qu'on pourrait qualifier de "poétique", avec ce que cela suppose aussi de mystérieux, contribue au charme des films de Rohmer, le charme au sens du "presque-rien" (ou du "je-ne-sais-quoi", je ne sais plus) dont parlait Jankélévitch. Mais ça, c'est une autre histoire... une autre musique.
Voilà pour l'aspect esthétique. Qu'on ne saurait pour autant dissocier du reste, de ce qui se dit dans chaque film, et comment cela est dit. Ces petites notes de rouge sont l'équivalent des discordances (quiproquos, lapsus et autres confusions) qui parsèment le discours des personnages, lui-même empreint de circonlocutions, et font tout le sel de la parole chez Rohmer. Et ce qui est vrai pour la parole l'est aussi pour le geste. On sait l'extrême attention porté par le cinéaste aux gestes de ses actrices, des gestes qui font partie intégrante des personnages qu'elles incarnent (parfois de façon compulsive, comme Marie Rivière dans la Femme de l'aviateur, se passant systématiquement la main dans les cheveux lorsqu'elle s'exprime). Or, contrastant avec ces gestes, qui pour Rohmer renvoient à une grâce spécifiquement féminine, il y a ceux de leurs homologues masculins, trahissant par moments une évidente gaucherie — je pense principalement à Hugues Quester dans Conte de printemps et bien sûr Melvil Poupaud dans Conte d'été —, ce qui apparaît comme une forme de désaccord dans la gestuelle du film, à l'instar des taches rouges et des "ratés" de la parole, sans que cela signifie nécessairement une contradiction entre ce que dit le personnage et ce que révèlent ses gestes. Simplement une rupture, légère mais perceptible, qui ne peut qu'agrémenter la "chorégraphie" de l'ensemble.
Et les digressions philosophiques? Ne pourrait-on les interpréter de la même manière, comme des "heurts" dans la philosophie générale qui imprègne chaque film, à travers les joutes qu'elles provoquent. Avec cette particularité qu'il y aurait dans la succession des contes, et des saisons, comme un abandon progressif du savoir et du "bien-dire" pour quelque chose de plus intuitif. Une façon de revenir à la question du début concernant l'ordre des saisons et la place de Conte d'hiver. Reprenons. C'est dans Conte de printemps, le premier des contes, où l'on parle le plus de philosophie, à travers notamment la discussion entre Jeanne et Eve: il y est question de Kant, du transcendantal, de jugement synthétique a priori... En contrechamp: la musique, celle de Schumann jouée par Natacha, qui joue aussi les "entremetteuses" entre Jeanne, jeune prof de philo, et son père. Dans Conte d'été, qui suit, pas de références philosophiques, mais de longues discussions entre Gaspard et Margot, tout en se promenant au bord de la mer, sur le thème de l'indécision dans les sentiments amoureux, écho possible à Kierkegaard... En contrechamp: une chanson, "Fille de corsaire", écrite par Gaspard qui, courage fuyons, se dérobera au moment du choix. Dans Conte d'automne, enfin, pas de références philosophiques non plus... pire: le professeur de philo y est discrédité par son ex-maîtresse qui fut aussi son élève mais préfère dorénavant parler philo avec Magali, la viticultrice qui, sur la nature, la vie, la pensée, lui dit des choses beaucoup plus profondes que celles qu'il pouvait lui dire... Et pas de contrechamp, on reste au milieu des plants de vigne où pousse le muflier sauvage, comme le précise Isabelle (initiée par Magali) à Gérald, qu'elle a rencontré dans le but justement de lui faire rencontrer Magali... Et puis Conte d'hiver. Où là par contre on reparle philo, via Pascal et son fameux "pari", leitmotiv rohmérien, entre Loïc, l'intellectuel, et Félicie, qui a décidé de le quitter pour un autre, dans l'attente d'un troisième qui, dialectique oblige, n'est autre que le premier. En contrechamp: Shakespeare, dont la pièce Le Conte d'hiver fait aussi du dramaturge un philosophe de la nature. Que conclure, si ce n'est que Conte d'hiver ne pouvait être le dernier des contes (ni le premier d'ailleurs), et suivre ainsi l'ordre des saisons. Qu'il existait une autre approche, celle qui valorise la nature, justifiant que le cycle des 4 saisons s'achève avec Conte d'automne. Et Conte d'hiver de s'insérer alors entre le printemps et l'automne, film-contrepoint dans l'harmonie du cycle.
PS. Cette place de l'hiver qu'on pourrait qualifier de "poétique", avec ce que cela suppose aussi de mystérieux, contribue au charme des films de Rohmer, le charme au sens du "presque-rien" (ou du "je-ne-sais-quoi", je ne sais plus) dont parlait Jankélévitch. Mais ça, c'est une autre histoire... une autre musique.