février 03, 2024

Je reviendrai


  American Guerrilla in the Philippines de Fritz Lang (1950).

Film mineur (et méconnu) de Lang, considéré comme un de ses plus mauvais sinon le plus mauvais (aux dires mêmes de l'auteur qui n'y voyait là qu'un film alimentaire), mais en fait beaucoup mieux que ce qu'on en dit. L'intérêt se situe à plusieurs niveaux:

— D'abord, c'est de découvrir un bon petit film d'aventure, qui vaut surtout par le Technicolor (jolie palette à dominante vert) et le fait qu'il a été tourné sur place, aux Philippines, ce qui lui confère par moments un aspect documentaire (cf. entre autres la scène de tinikling, une danse locale qu'on exécute au-dessus de deux perches de bambou frappées en rythme l'une contre l'autre), compensant la partie romance du film, l'histoire d'amour longtemps différée entre Tyrone Power et Micheline Presle (orthographiée Prelle au générique!), partie très gnangnan, le sommet étant atteint lorsque les deux amants vivent leur première nuit d'amour, qui est aussi la nuit de Noël, et que Presle se met à chanter "Il est né le divin enfant" dans les bras de Power!

— Puis, c'est de repérer ce qu'il peut y avoir de langien, malgré tout, dans un film à la base très "kingien" (l'équipe technique était celle d'Henry King, jusqu'au réalisateur de seconde équipe). Ainsi, au début, l'exécution du traître en pleine nuit, alors qu'il cherchait à s'enfuir, la scène également où une villageoise, la tête recouverte d'une cagoule en osier, dénonce aux Japonais en les pointant du doigt ceux qui ont aidé les Américains, ou bien encore le finale dans l'église (le panoramique qui découvre les guérilleros cachés, à l'affût, d'un coin à l'autre de l'église, pendant que la messe se poursuit)... mais aussi la part de cruauté qui s'exprime, évidemment, à travers des Japonais sadiques à souhait, mais surtout dans certaines scènes d'exacerbation typiquement langienne, comme celle où Tom Ewell, dissimulé sous un tronc d'arbre, doit rester absolument silencieux alors que des fourmis, de plus en plus nombreuses, recouvrent ses pieds!

— Enfin, c'est d'essayer de concilier le savoir-faire des productions hollywoodiennes (souvent à visée de propagande dans les films de guerre) et le cinéma de Fritz Lang (et sa "hautaine dialectique" comme disait Demonsablon), ce qui dans le cas de Guérillas relève un peu de la gageure, à moins de voir le film sous un autre aspect. "I shall return", la célèbre phrase de Mac Arthur, replié en Australie et promettant de revenir délivrer les Philippines, est inscrite sur les paquets de cigarettes que fument les soldats américains et leurs alliés phillippins. L'objet n'a pas la même fonction que la barre de chocolat Lawson ou la bouteille de Coca-Cola, signes d'une Amérique déjà bien présente économiquement. Là, il s'agit plutôt de revanche. "Je reviendrai" parce que "je" (Mac Arthur) ne saurais rester sur l'humiliation d'une défaite cuisante... En attendant, il faut résister et faire feu de tout bois. C'est l'aspect le plus réjouissant du film, le côté à la fois ingénieux et artisanal. Guérillas célèbre ainsi des soldats contraints de se reconvertir en bricoleurs de génie pour assurer la liaison avec l'état-major américain, espionner la flotte japonaise et préparer, via un gouvernement civil clandestin, la future indépendance du pays. Pièces automobiles, vis, boulons, tringles, ferraille, accumulateur... tout est récupéré. On fabrique de la monnaie avec du papier d'emballage et de l'encre à base de suie et de glycérine, des câbles télégraphiques à l'aide de fil barbelé tendu d'arbre en arbre et de bouteilles utilisées comme isolant, du gasoil à partir d'huile de palme, des fusils avec des bouts de tuyau et de la poudre avec du souffre, du gros sel et de l'antimoine, une station radio avec le moteur d'une raffinerie, le générateur de la salle de cinéma et le circuit électrique de voitures... Si finalement on ne fait pas exactement ce pourquoi on était venu (se battre), on le fait quand même. Fritz Lang non plus n'a pas fait, loin s'en faut, le film qu'il aurait voulu (si tant est qu'il l'ait voulu), mais il a tenu ses engagements, respectant son contrat, sans autre ambition. A ce titre, il est à l'image du personnage de Tyrone Power, voire du général Mac Arthur (du moins au début), ravalant sa fierté, en espérant des jours meilleurs... A Hollywood.