Gran bollito de Mauro Bolognini (1977).
Au cinéma ce soir.
Gran bollito de Mauro Bolognini, qu'on peut traduire par "grande bouillie à la sauce bolognaise", est un film qui appartient au triptyque "années 30" de Bolognini, avec Libera amore mio! (sur le fascisme) et l'extraordinaire Per le antiche scale (sur la psychiatrie) que Gran bollito prolonge en quelque sorte. Ici l'Italie de Mussolini reste en toile de fond, c'est davantage un portrait de la société italienne, peu importe l'époque, vue à travers le regard d'une femme. Shelley Winters a quitté sa loge de concierge, qu'elle habitait dans le Locataire de Polanski, pour un appartement plus grand, trop grand, que son mari venu travailler dans le Nord lui a dégoté (avant qu'une attaque cérébrale ne le cloue dans un fauteuil roulant) et dont elle aménage la cuisine — une petite scène de théâtre avec estrade et rideaux — en lieu du crime: assassinat (à la hache), dissolution des corps (à la soude caustique), récupération des restes (pour en faire du savon et des biscuits!). C'est tiré d'une histoire vraie: La saponificatrice de Correggio. La force du film tient au fait que Bolognini ne cède pas à la tentation grand-guignolesque, ni à la grosse farce bien macabre, s'en tenant à l'aspect purement démentiel de ces meurtres et la logique implacable, fondée sur la superstition, qui les sous-tend: mère ultrapossessive et relation quasi incestueuse avec son fils, seul survivant après douze grossesses infructueuses; meurtres de femmes sans enfants, donc sans utilité, dont elle accapare ensuite l'argent et les bijoux pour assurer le bien-être matériel de sa progéniture. Dans le court-métrage de Comencini, L'ospedale del delitto (sur le Manicomio d'Aversa), on voit — filmée par Mario Bava, le futur maître du giallo — la vraie saponificatrice (Leonarda Cianciulli) déclarer que seule une mère peut comprendre ce qu'elle a fait — cf. là. Dans le film de Bolognini, à ceux qui la traitent de "monstre", Lea/Shelley Winters se contente de répondre qu'elle seule sait pourquoi elle l'a fait.) Mais il est un autre élément qui fait la force du film et le rend à part, lui conférant sa propre folie, c'est que les trois femmes victimes sont jouées par des acteurs masculins, dont Max von Sydow (!), travestis pour l'occasion, acteurs qu'on retrouve ensuite dans des rôles d'hommes de pouvoir (commissaire de police, carabinier, directeur de banque), ceux qui participent à l'arrestation de Lea. C'est l'aspect politique du film: ce que la femme criminelle tuait, écrabouillait, réduisait en poussière, c'est moins la pauvre fille esseulée que l'homme, derrière, responsable de cette désolation. L'amour d'une mère, oui, mais aussi la folie que peut engendrer, dans les sociétés traditionnelles, la pression culturelle, assujettissant la femme à son "devenir-mère". Pression d'autant plus forte et violente que ce sont les hommes qui créent les lois, les font respecter... et enferment les fous.
PS. La chanson du film, Vita vita, composée par Enzo Jannacci et chantée par Mina, semble avoir pas mal inspiré Pierre Bachelet pour son Elle est d'ailleurs, sortie en 1980.