janvier 13, 2024

Trois îles

Anatahan de Josef von Sternberg (1953).
 
Indépendamment des autres films de Sternberg — ceux des années 30 notamment, avec Marlene Dietrich — qui caractérisent idéalement le style non-réaliste du cinéaste viennois (jeu avec la lumière, saturation de l'espace, profusion de voiles, tentures, feuillages et autres cloisons mouvantes...) et qu'on retrouve à un degré supérieur dans Anatahan, ce dernier, produit au Japon, est un film absolument unique. Il ne ressemble à rien de connu. A ce titre, il rejoint d'autres films "uniques" comme Tabou de Murnau et Vaudou de Tourneur, avec lesquels il forme une sorte de triptyque: trois "ȋles" surgies de nulle part, à une dizaine d'années d'intervalle, et qui se font écho, par-delà les mers.
Bora Bora, San Sebastian, Anatahan... la première, réelle, en Polynésie (il y a aussi Takapoto), la deuxième, fictive, quelque part dans les Caraïbes, la troisième, fantasmée, au milieu du Pacifique mais "fabriquée" ailleurs, dans un hangar de Kyoto. Trois îles, sous le regard de l'Occident: l'innocence perdue (Tabou), les désirs refoulés (Vaudou), les pulsions déréglées (Anatahan). Superstition, malédiction, transgression, les ombres qui gagnent sur la lumière, le va-et-vient des vagues, la mélancolie... Et au cœur de chaque île, une femme (vierge sacrée, zombie, "reine des abeilles"), objet du scandale, dont l'histoire nous est commentée via différents supports: des écrits (un parchemin, un journal de bord, un rapport de police), quelques chansons (le chanteur de calypso), une voix off (Sternberg lui-même dans le rôle du narrateur)...