Je veux seulement que vous m'aimiez
de Rainer Werner Fassbinder (1976).
ERIKA. — Tu sais à quoi tu ressembles? A mon premier chien.
C'était un schnauzer.
PETER. — Un schnauzer? Tu l'aimais, ton schnauzer?
ERIKA. — Plus que tout au monde.
D’abord un plaisir esthétique, celui de retrouver le 16 mm, le grain de l’image, les focales longues, créant une vraie poétique du flou, à travers notamment tous ces premiers plans de verres et de bouteilles — le père du héros tient une brasserie —, ce qui confère au film un aspect tachiste et miroitant absolument magnifique. Et ce n’est que de la télévision, comme quoi ce n’est pas la peine de dépenser des mille et des cents pour qu'un film soit beau. Ce téléfilm appartient à la période la plus riche de l'œuvre fassbindérienne, de par son esthétisme justement, si l'on compare aux premiers films, mais sans les excès esthétisants de la dernière période. Film éminemment politique, assimilant famille et capitalisme, éminemment œdipien (et donc autobiographique), Je veux seulement que vous m'aimiez emprunte au mélodrame social, ce que je préfère le plus chez Fassbinder. Le film est traversé par un vrai motif, à la fois symbolique et pictural: le bouquet de fleurs que le héros offre invariablement aux quelques femmes qui peuplent sa vie, d'abord sa mère, depuis cette scène primitive quand, enfant, il avait volé des fleurs et qu'en retour elle l'avait battu avec une incroyable férocité, jusqu'à démolir le cintre qui lui servait de cravache; puis sa propre femme, une amie d'enfance (mais aussi la grand-mère de celle-ci, autant de substituts maternels), les fleurs offertes témoignant alors du geste minimal d'amour, prélude à tous les autres, infiniment plus coûteux — robe, bijou, machine à tricoter — amenant le personnage à s'endetter de plus en plus, donc à travailler de plus en plus, jusqu'à l'épuisement, jusqu'au vide (superbes séquences d'errance urbaine), jusqu'au geste fatal: le meurtre du "père"... La fleur donc, comme dans Les Bonnes de Genet (il n'est jusqu'au papier peint de l'appartement qui rappelle le motif floral). Au delà du politique, c'est bien le besoin d'amour (accompagné de sa demande) qui, comme le titre l'indique, est au cœur du film, besoin d'autant plus récurrent que les parents, symbole du capitalisme petit-bourgeois de l'Allemagne d'après-guerre, n'ont aimé leur fils, véritable exploité, que le temps nécessaire à ce qu'il leur construise une maison. Il y a dans le film une scène merveilleuse, celle de la demande en mariage (le film n'est pas construit chronologiquement). On voit l'homme et la femme se promener au milieu d'un chantier sur un sol détrempé et boueux. L'homme offre à la femme son traditionnel bouquet et lui annonce qu'il veut l'épouser. Celle-ci laisse alors tomber les fleurs et enlace l'homme en signe d'acceptation. Mais nulle envolée lyrique. Au contraire, au moment même où, comblée de bonheur elle s'accroche à lui, elle s'enfonce littéralement dans la boue, jusqu'aux chevilles. Tout Fassbinder est dans ce plan. Sublime.