
Hard Truths (Deux Sœurs) de Mike Leigh (2024).
Secrets et mensonges.
Deux Sœurs, le titre français du dernier Mike Leigh (en écho peut-être à Deux Filles d'aujourd'hui, "traduction" française de Career Girls), tend à imposer une vision binaire et simpliste du film, celle qui se contenterait d'opposer l'irascibilité de Pansy à la bonne humeur de Chantelle, là où le titre original, Hard Truths, ouvre une tout autre voie, interrogeant ce que sont ces "vérités", aussi "dures" à dire qu'à entendre dans le film, ce qui nous renvoie trente ans en arrière, à Secrets and Lies (curieusement traduit par Secrets et Mensonges, oui je me moque) dans lequel jouaient déjà Marianne Jean-Baptiste et Michele Austin. Parce que toutes ces paroles acerbes, coléreuses, haineuses, que déverse Pansy à longueur de journée, et à tout le monde, sont ses "vérités" à elle, livrées sans filtre (Pansy = pensée en anglais), qui traduisent sa détestation de la vie (comme le lui fait remarquer sa sœur) en même temps qu'elles viennent meubler (en s'adressant à l'autre) le terrible sentiment de solitude dans laquelle elle vit. La force de Hard Truths est là qui rend le personnage de Pansy malgré tout attachant.
De sorte que ce qui ressort peu à peu du film c'est, au-delà de cette opposition très (trop) marquée entre les deux sœurs, ce qui au contraire fait lien, via la relation (inégale et injuste) que leur mère entretenait avec chacune, un secret qu'elles partagent, et plus encore, à travers leur mode de vie, aussi bien du côté de Pansy, enfermée dans sa paranoïa (traitant les Noirs comme elle traiterait les Blancs), à laquelle renvoie l'intérieur de sa maison, à la propreté maladive, symbole de pureté, que du côté de Chantelle, apparemment plus libérée mais seulement dans le cadre de sa communauté: elle est coiffeuse dans un salon où personnel et clientèle sont tous noirs, à l'image d'ailleurs du casting du film. A l'abri du "regard blanc" — seule exception (qui confirme la règle), le personnage de la cheffe de projet que doit affronter une des filles de Chantelle —, un regard qui se trouve soit annulé, car confondu avec n'importe quel autre (Pansy), soit ignoré, car suffisamment loin, maintenu qu'il est à distance (Chantelle). En tant que Blanc, Mike Leigh, 82 ans, ne saurait évidemment s'affranchir de ce fameux "regard blanc" dont parlait Toni Morrison, la tension que crée chez le sujet noir le sentiment de se voir à la fois comme Noir et tel que le Blanc le perçoit (la "double conscience"). Mike Leigh n'est pas Spike Lee (même si ça sonne pareil). Mais en laissant pour ainsi dire hors champ le regard blanc — appelons ça le "hors-blanc" —, il libère ses personnages d'une telle menace. A la condition toutefois de s'effacer lui-même, non pas en tant qu'auteur, mais justement parce que c'est un auteur et qu'à ce titre il se montre capable de nous faire oublier que tous ces personnages noirs sont regardés par un cinéaste blanc. Dures (et belles) vérités.