Mulholland Dr. de David Lynch (2001).
On a souvent évoqué la bande de Möbius pour expliquer la forme si particulière des films de Lynch. Il s’agit d’une figure topologique chère aux lacaniens que l’on peut construire à partir d’un ruban dont l’un des deux bouts aurait été tordu sur lui-même avant d’être joint à l’autre. Il ne persiste qu’une seule face, ondulante, tantôt interne tantôt externe. Si l’on sépare imaginaire et réel de telle sorte que le premier occupe la face interne du ruban et le second sa face externe, on voit que dans la bande de Möbius imaginaire et réel interagissent sans qu’il soit nécessaire de traverser la bande. C’est en ce sens qu’il faut comprendre Lynch lorsque, aux tentatives d’explications de ses films, il répond invariablement: "Tout est là!" Tout est là, en effet, à la surface du film, sur la bande monoface. Mais allons plus loin. Si l’on parcourt deux fois la bande de Möbius, on revient au point de départ. Peu importe le sens dans lequel s’effectue le second tour, il nous ramène toujours à l’endroit d’où l’on est parti. Dans Mulholland Dr. il y a un premier tour (le film proprement dit) et un second qui le répète, soit à l’envers (un deuxième film spéculaire où les identités et les affects s’inversent comme une dissymétrie gauche/droite dans un miroir), soit à rebours (un deuxième film non spéculaire mais où le temps serait remonté). Plus encore que le labyrinthe, dans lequel il faut trouver le bon itinéraire — plusieurs chemins, une seule issue —, c'est la bande uniface qui structure le film, la bande sur laquelle il faut repérer le point d’inversion/réversion (ici l’ouverture de la boîte bleue), le moment où le film contourne sa propre face pour nous livrer son "envers", l’instant précis où l’imaginaire vient rencontrer le "réel", le réel au sens lacanien du terme, à ne pas confondre avec la réalité. Car c’est bien dans ce sens que se déroule le film: de l’imaginaire au réel. Pas de la réalité au rêve, il ne s’agit pas de croire aux fantômes. Pas davantage du rêve à la réalité, il ne s’agit pas d’éprouver notre esprit cartésien. Simplement du récit de l’imaginaire que le spectateur contrôle si bien à la fiction du réel sur lequel il n’a aucune prise. Alors de deux choses l’une: ou le film fait marche arrière et nous retournons dans l’imaginaire: c’est l’histoire d’une actrice qui a côtoyé l’amour/la mort/la folie — comme dans un grand jeu de rôles — mais qui en est revenue pour nous le raconter; ou le film fait un tour de plus et nous basculons dans le réel (la fiction pure): c’est l’histoire d’une actrice qui découvre les ravages de l’amour (jalousie, haine...), ou bien agonise, reconstruisant certains moments de sa vie, ou bien encore sombre dans la folie, autant de situations dont elle ne reviendra pas. Deux versions qui n’épuisent pas, fort heureusement, la compréhension du film car il se pourrait aussi que l'histoire hésite entre les deux mouvements, nous laissant ainsi au bord du sens...