septembre 27, 2024

Guitry, 1935


  Bonne chance! de et avec Sacha Guitry (1935).

  Un petit Renoir.

Un de mes préférés parmi les "Delubac-films" (les Guitry des années 30)... Jacqueline Delubac, à la fraîcheur irrésistible, elle dont Guitry disait, parce qu'il avait le double de son âge (ce que rappelle d'ailleurs Pauline Carton dans le film), qu'il était juste qu'elle soit sa moitié... un Delubac-film donc, un petit bijou (rapport au solitaire que lui offre Guitry), un "petit Renoir" aussi (rapport au tableau qu'il s'offre à lui-même), un voyage de noces (avant les noces), très Nouvelle vague, qui se contente de son programme et de quelques "vues"... bref du pur Guitry comme je les aime, avec sa verve (la séquence au restaurant, un régal), ses bons mots, sa fantaisie, qui semble inépuisable, sa modernité, déjà là (c'est le premier film de Guitry ou presque, supervisé par Fernand Rivers, alias Plouf), cette façon de mêler les formes, de télescoper les histoires, l'aspect brinquebalant du récit, à la Pierre Prévert, mais sans le côté subversif. Guitry appartient pleinement, et de façon gourmande pourrait-on dire, au milieu bourgeois qu'il dépeint (son fond de commerce), même si là c'est davantage petit-bourgeois, le peintre et la blanchisseuse, c'est l'aspect pré-beckerien du film, petit monde que Guitry caricature sans méchanceté, à la manière du personnage qu'il incarne. Quant à l'emphase contrôlée de son jeu, faussement théâtreuse, loin de surplomber l'ensemble, elle se place plutôt en contrepoint, conférant à toutes ces intrigues hautement improbables (faisons un rêve...) qu'il imagine puis dirige, la discrète distanciation, légère autant que subtile, qui sied aux plus beaux films. Guitry avait tout compris au cinéma. 

Un extrait du scénario: (lui-même extrait des Cahiers du cinéma n°471, septembre 1993)

La scène se passe au restaurant où Claude (Sacha Guitry), qui tient à la main une petite valise, a emmené Marie (Jacqueline Delubac) pour fêter les deux millions qu’ils viennent de gagner à la loterie. Ils ont rejoint le dernier des "bosquets" encore disponible, ces petites tonnelles fleuries où l’on peut dîner en amoureux, à l’abri des regards ("Ah voilà enfin une chambre libre, eh bien entrons..." dit l'homme, non sans malice).

Claude (au maître d’hôtel qui lui a présenté la carte– Alors, dites-moi mon ami, aux voix! (il lit le menu et regarde Marie) Caviar. (ils lèvent tous deux la main)
Le maître d’hôtel (Seller, comédien habituel des films de Guitry, il jouera à nouveau un maître d'hôtel dans Faisons un rêve...– Caviar.
Claude – Bon. Potage (Marie fait une épouvantable grimace) Sole? Non, pas de sole. Merlan? Non, pas de merlan. Le turbot. Le... rouget grillé. Non, pas de rouget grillé. Truite au bleu... (Marie acquiesce) Ah, truite au bleu! (ils lèvent la main)
Le maître d’hôtel, triomphal – Deux truites au bleu!
Claude – Bien. Ensuite, poulet cocotte?
Marie – Mais oui, coco.
Claude – Poulet coco, euh... poulet cocotte.
Le maître d’hôtel – Et pour finir?
Claude – Et pour finir, pour finir, je ne sais pas. Est-ce que vous préférez... (mimant une gifle) vous préférez une tarte ou un soufflé?
Marie – Un soufflé.
Le maître d’hôtel – A la vanille?
Claude – Pour les petites filles.
Le maître d’hôtel – ou... au citron?
Marie – Pour les petits garçons.
Le maître d’hôtel – Au chocolat?
Claude – Pour les papas.
Marie – Réflexion faite, je préfère une tarte.
Le maître d’hôtel – Bien, madame. Aux fraises ou aux frises? Euh... aux frises ou aux ceraises?
Claude – Dites-le doucement.
Le maître d’hôtel – Bien. Aux cerises ou aux cerises?
Marie – Aux fraises.
Le maître d’hôtel – Bien, madame. Pour boire?
Claude – Ah, déjà! (le maître d'hôtel s'embrouille dans ses dénégations et montre la carte des vins) Cela me semblait un peu prématuré. (il prend la carte) Pardon. Champagne?
Marie – Oh oui!
Claude – Du champagne, du champagne, du champagne, voyons... Sec?
Marie – Très sec!
Claude – Très sec. Du champagne extrêmement sec. Donnez-nous donc ça, tenez.
La maître d'hôtel – Bon.
Claude – Très bon?
Le maître d'hôtel – Ah, très, très, très bon.
Claude – Bon, voilà. Et maintenant, maintenant fermez les yeux.
Le maître d'hôtel – Vous pouvez être tranquille, nous avons l'habitude.
Claude – Je ne vous parle pas.
Le maître d'hôtel – Oh, pardon. (il sort)
Claude – Et maintenant, excusez-moi. Fermez les yeux. Je sais bien que c'est un crime, des yeux comme cela devraient rester ouverts dimanche et jours de fêtes, néanmoins, s'il vous plaît, fermez les yeux. C'est promis?
Marie – Promis.
Claude – Ah.
Marie – Juré.
Claude (il prend la mallette et l'ouvre– Vous savez que le bon Dieu vous voit, n'est-ce pas? (elle rit) Il ne faut pas rire.
Marie – Je peux les ouvrir?
Claude – Non, c'est absolument défendu!
Marie – Et maintenant?
Tout en parlant, il a sorti un petit tableau qu'il pose face à eux sur la table et un écrin qu'il dissimule sous la serviette de Marie.
Claude – Chut. Pas encore.
Marie – Je peux les ouvrir?
Claude – Oui.
Marie découvrant le tableau – Oh! Que c'est joli! Qu'est-ce que c'est que ça?
Claude – C'est un Renoir, un ravissant Renoir.
Marie – Que vous m'offrez?
Claude – Ah non, ça, pardon, mais c'est pour moi, ça. On va dîner ensemble tous les trois. C'était le rêve de ma vie d'avoir un petit Renoir. C'est une des folies que j'ai faites tantôt, mais je n'ai pas fait que des folies tantôt, oh, non, non! Tenez, quand il le faut, moi, je sais très bien être sage... Vous en aurez la preuve quand vous aurez la bonté de bien vouloir soulever votre serviette.
Marie – Ma serviette?
Claude – Oui, oui, oui... (elle soulève sa serviette et s'exclame à la vue de l'écrin) Oui.
Marie – Un écrin!
Claude – Oui, un petit écrin vide, une petite boîte en somme pour mettre vos épingles à cheveux ou votre coton à broder...
Marie – Mmm, pour un écrin vide, il me paraît bien lourd.
Claude – Ah? Est-ce que par hasard le marchand nous aurait fait une surprise?
Marie – Ou une farce?
Claude – Ce serait curieux ça.
Marie ouvrant l'écrin – Il nous a fait une farce. Eh bien, vous savez, moi qui généralement n'aime pas les farces, celle-là me plaît infiniment. (le solitaire resplendissant) Oh, qu'il est beau. Oh merci, merci, merci...
Claude – Non, non, non... Ben non, ne me remerciez pas, mon Dieu. Si vous saviez comme c'est agréable de faire des cadeaux avec l'argent des autres. Dites-moi qu'il n'est pas trop mal choisi.
Marie – Il est extraordinaire!
Claude – Tant mieux... Il m'a semblé joli. Permettez. (il le lui passe au doigt) Vous savez que, dans les bosquets voisins, je crois qu'on s'embrasse pour bien moins que cela.
Il lui baise la main.

Le film:

septembre 21, 2024

De Perec à Perrin

  Un homme qui dort de Bernard Queysanne et Georges Perec (1974).

"Nous vivions à Paris, dans le 20e arrondissement, rue Vilin; c'est une petite rue qui part de la rue des Couronnes, et qui monte, en esquissant vaguement la forme d'un S, jusqu'à des escaliers abrupts qui mènent à la rue du Transvaal et à la rue Olivier Metra (c'est de ce carrefour, l'un des derniers points de vue d'où l'on puisse, au niveau du sol, découvrir Paris tout entier, que j'ai tourné en juillet 1973, avec Bernard Queysanne, le plan final du film Un homme qui dort). [ndr: Perec se trompe à propos de la rue Olivier Métra qu’il confond avec la rue des Envierges] La rue Vilin est aujourd’hui aux trois quarts détruite. Plus de la moitié des maisons ont été abattues, laissant place à des terrains vagues où s’entassent des détritus, de vieilles cuisinières et des carcasses de voitures; la plupart des maisons encore debout n’offrent plus que des façades aveugles. Il y a un an, la maison de mes parents, au numéro 24, et celle des mes grands-parents maternels, où habitait aussi ma tante Fanny, au numéro 1, étaient encore à peu près intactes. On voyait même au numéro 24, donnant sur la rue, une porte de bois condamnée au-dessus de laquelle l'inscription COIFFURE DAMES était encore à peu près lisible. ll me semble qu'à l'époque de ma petite enfance, la rue était pavée en bois. Peut-être même y avait-il, quelque part, un gros tas de pavés de bois joliment cubiques dont nous faisions des fortins ou des automobiles comme les personnages de L'Ile rose de Charles Vildrac."
(Georges Perec, W ou le souvenir d'enfance, 1975)


Belleville blues.

Dernier plan de Un homme qui dort, le même qui ouvrait le film. La pluie a cessé de tomber. L’homme a quitté sa chambre et redescend la rue Vilin. Il n’était pas mort, il n’était pas devenu fou. Le temps sans durée du film n’était que le temps oublié de l’enfance, de cette enfance passée à Belleville et dont Perec disait n’avoir aucun souvenir. Un homme qui dort: un film de disparition, appelé lui-même à disparaître progressivement dans les années 80, à mesure que se dégraderont les trois seules copies qui existaient du film, jusqu’à devenir ruines à leur tour, à l’image des souvenirs d’enfance de Perec, à l’image du quartier de Belleville — l’ilot insalubre n°7 — à la fin des années 70.



BonusEn remontant la rue Vilin de Robert Bober (1992). Documentaire-puzzle construit à partir d’anciennes photographies et de toutes ces descriptions faites par Perec des lieux de son enfance et de leur transformation.

De Perec à Perrin.


1977: année punk. Laurent Perrin tourne Scopitone, son premier court-métrage. Les lieux sont les mêmes mais l’esprit a changé. Exit les souvenirs perdus de l’enfance qui sous-tendaient douloureusement Un homme qui dort, Scopitone respire l’air du temps. La petite chambre sous les toits a disparu; à la place, un immeuble promis à la démolition, squatté par quelques jeunes. Alors que Georges Perec a dorénavant le regard tourné vers l’Amérique, prêt à partir, avec son ami Robert Bober, sur les traces des émigrants européens du début du siècle (Récits d’Ellis Island, histoires d’errance et d’espoir), prolongeant ainsi sa quête des origines, Laurent Perrin enregistre les battements new wave d’une génération sans repères, perdue dans les décombres, vivotant, traficotant, menacée en permanence d’expulsion, telle une nouvelle vague d'"immigrés".
Au noir et blanc magnifié de Un homme qui dort, qui conférait au film une dimension à la fois mélancolique et intemporel, succèdent ici les couleurs un peu fades des années 70, celles du désenchantement (l’après-68), sauf que chez Perrin c’est plus profond encore, le désenchantement s’inscrivant au cœur même de son œuvre, comme on le découvrira par la suite, de Jimmy jazz (1982), son second court-métrage, à 30 ans (2000), son dernier film de fiction, en passant par ce qui restera ses deux plus beaux films: le nocturne (bleu nuit) Passage secret (1985) et le diurne (vert marine) Buisson ardent (1987). De sorte que si Scopitone est un film de son temps, c’est d’abord parce que ce côté désabusé du cinéma de Perrin se trouve en phase avec le désœuvrement d’une certaine jeunesse de l’époque: drôle de jeunesse, déclassée, exilée, loin de l’utopie post-soixante-huitarde (seul persiste l’idéal communautaire), se contentant de vivre le présent, au jour le jour.




Scopitone sort à Paris le 9 avril 1980. On y découvre — sur fond d’idylle impossible entre un mécanicien magouilleur et une libraire trop sérieuse — un Belleville totalement dévasté, comme si la ville avait été bombardée. Belleville année zéro. A la fin du film, Didier Sauvegrain, le personnage principal, échappe aux flics en dévalant la rue Vilin, parcourant ainsi le même trajet que Jacques Spiesser dans Un homme qui dort. Par ce mouvement, très musical, qui conjugue la reprise et la fuite, Scopitone vient non seulement signifier la mort du vieux Belleville, de ce qui en faisait l’âme, en même temps qu’un lieu de mémoire, notamment de l’immigration, il marque aussi la fin d’une époque, celle que le film "caché" de Perec incarnait, soit la Nouvelle vague et l’onde qui suivit, avant le ressac des années 80. Car c’est un fait: les premiers travaux de rénovation de Belleville ont coïncidé avec l’avènement de la Nouvelle vague, comme si le quartier symbolisait à lui seul tout un pan du cinéma français, du réalisme poétique d’avant-guerre à la "Qualité française" des années 50. Et de voir dans Belleville rasée l’image du "cinéma de papa", cinéma de studio, ainsi mis au rebut.

De Scopitone à Jimmy jazz.

Dans Scopitone, il n’y a pas de scopitone. Et pour cause: apparu au début des années 60, contemporain donc, lui aussi, de la Nouvelle vague, le scopitone n’a pas survécu à la décennie. Trop rhinocéros. Il n’en reste pas moins l’ancêtre du vidéo-clip qui, lui, s’est surtout développé dans les années 80. Entre les deux, entre scopitone et vidéo-clip, c’est le vieux jukebox, présent dans le film, qui d’une certaine façon assure la permanence, jusqu’à ce qu’il disparaisse à son tour. C’est lui qui diffuse la musique à Belleville, une musique délicieusement désuète, à l’image du quartier. Pour écouter de la musique plus jeune, punk en l’occurrence, il faut changer de quartier, aller à Montmartre, au dancing "La Boule noire", où jouent les Go-Go Pigalle. Reste que la vie n’y est pas plus colorée. La seule lumière du film est, comme le soulignait Daney, celle du flipper: le fameux Night Rider de Bally, symbole de l’Amérique des années 70 (gros camion, serveuse sexy et voiture de police), mais dont les couleurs, à la fois nocturnes et rutilantes, annoncent déjà, bien plus que le jukebox, l’esthétique des années 80, une époque qui verra aussi le retour des décors en studio, conjointement à la reconstruction de certains secteurs de Belleville. Si le cinéma de Laurent Perrin est un cinéma de passages — entre deux, voire plusieurs, périodes de la vie —, Scopitone marque, lui, le passage d’un temps révolu (les années 60 et l’héritage post-68) à un temps — les années 80 — dont on ne perçoit encore que les prémices. Comme de petits spots lumineux, clignotant au milieu des vestiges.
C’est deux ans plus tard, avec Jimmy jazz, que Laurent Perrin entre de plain-pied dans les années 80, passant de Belleville à Saint-Ambroise, de la rue Vilin à la rue des Bleuets. La musique, elle, se joue toujours du côté de Montmartre, à la "Nouvelle Eve", le célèbre cabaret, ou chez une comtesse excentrique, aux allures steiniennes. Jazz et blues: une musique d’hier — on y entend même "Nobody knows you when you’re down and out" de Jimmie Cox — et pourtant en accord avec l’esprit postmoderne de l’époque. Si le titre Jimmy jazz fait référence à une chanson des Clash, présente sur l’album London Calling (sorti au début des années 80), c’est parce que cet album, le meilleur de la décennie pour la revue Rolling Stone, exalte la fusion des genres (du jazz à la musique caribéenne) en même temps qu’un retour aux sources (loin du punk, jugé déjà sur le déclin), ce qu’on retrouve dans le film à travers la boutique de disques (Debs Musique) où travaille le personnage de Luchini. Jimmy jazz se déroule essentiellement la nuit dans des décors à dominante rouge. Entre Fabrice Luchini, très rohmérien, et Bruce Grant, le musicien de jazz qu’il admire, vient s’inscrire un troisième personnage, à la fois objet du désir de l’Autre (Pascal Bonitzer a coécrit le scénario) et figure eighties par excellence puisque incarnée par Caroline Loeb, ancienne styliste de Mondino et future "reine de la ouate". Au milieu du film, lors d’une séance pour le moins houleuse d’enregistrement, Loeb et Luchini s’échappent du studio pour aller jouer non pas au flipper mais à un jeu vidéo d’arcade, un dérivé de Space Invaders, jeu pour lequel Luchini, acteur post-NV s’il en est, se montre particulièrement peu doué, au contraire de sa partenaire. Celle-ci, pour le coup, l’envoie aux "chiottes" lire sur la porte la plus belle déclaration d’amour qu’elle ait vue: "J’aurai ta peau ordure!". Difficile de ne pas voir dans cette déclaration la réponse (passionnée) du cinéma des années 80 — cinéma pas encore numérique mais cultivant déjà l’art de la "belle image" — au laisser-aller esthétique de la Nouvelle Vague et de sa descendance.

Fin des années 80. La rue Vilin est "recouverte" par le parc de Belleville. Le S de la rue s’est transformé en allées verdoyantes. Le flipper va peu à peu disparaître des cafés et le jeu vidéo rejoindre la sphère domestique.

septembre 14, 2024

Passion Seyrig




Delphine Seyrig en 1968, à l'époque de Fabienne Tabard et de Baisers volés. C'est, dans Dim Dam Dom, le magazine culte de Daisy de Galard, la séquence réalisée par François Weyergans, Delphine Seyrig photographe (émission du 20 décembre), où on la voit photographier des poupées (le film préfigure Todd Haynes) tout en soliloquant ("les chats griffent et les photos graphent") à la manière des petites filles, puis, transformée en speakerine, réciter un passage de "La nouvelle Héloïse" de Rousseau... Magnifique.

Delphine Seyrig, née le 10 avril 1932... (comme Omar Sharif, son "jumeau", elle à Beyrouth, lui à Alexandrie).

Et puis ça aussi, à propos de son phrasé si particulier: "On dirait qu’elle vient de finir de manger un fruit, que sa bouche en est encore tout humectée et que c’est dans cette fraîcheur, douce, aigre, verte, estivale que les mots se forment, et les phrases, et les discours, et qu’ils nous arrivent dans un rajeunissement unique." (Marguerite Duras).

Bonus:

S.C.U.M. Manifesto (sur tënk) de Carole Roussopoulos et Delphine Seyrig (1976), dans lequel Seyrig dicte à une dactylo (Carole Roussopoulos herself), qui le transcrit à la machine à écrire, le pamphlet délirant de Valerie Solanas (1967) — contre les hommes qu'il faut éliminer... entre autres parce que "le mâle est un accident biologique, que le gène mâle Y est un gène femelle X incomplet" — féministe radicale qui connut son "quart d'heure de célébrité" en 1968 lorsqu'elle essaya de tuer Andy Warhol qu'elle accusait d'avoir volé le manuscrit de sa pièce "Up your ass".

+ Sois belle et tais-toi de Delphine Seyrig (1981), toujours sur tënk.

Filmo sélective:

♂︎

L'Année dernière à Marienbad, Alain Resnais, 1961
Muriel ou le Temps d'un retour, Alain Resnais, 1963
Baisers volés, François Truffaut, 1968
Peau d'Ane, Jacques Demy, 1970
Le Charme discret de la bourgeoisie, Luis Buñuel, 1972
Le Jardin qui bascule, Guy Gilles, 1975

♀︎

Aloïse, Liliane de Kermadec, 1975
Jeanne Dielman..., Chantal Akerman, 1975
India Song, Marguerite Duras, 1975
Son nom de Venise dans Calcutta désert, Marguerite Duras, 1976
Baxter, Vera Baxter, Marguerite Duras, 1977
Golden Eighties, Chantal Akerman, 1986

septembre 08, 2024

Birds




Spiral down hateful dears
Between our skins and burning spheres
Oh yeah
Here come the painbirds
Oh yeah
Here come the painbirds...

(Sparklehorse, "Painbirds", 1998)

septembre 02, 2024

L'île Rozier



  Du côté d'Orouët de Jacques Rozier (1969-1973).

Revoyant le film (c'est ), le passage où Bernard Menez, dans la cuisine, accompagné de sa bouteille de gros-plant, prépare pour les filles le congre qu'il a pêché l'après-midi (séquence géniale en termes de découpage et dans les prises de vues du fait de l'exiguïté de la pièce) — c'est à partir de 1h55 sur la vidéo —, je me suis rappelé l'entretien qu'avait donné Jacques Rozier pour l'émission "Cinéma Cinémas" et dans lequel il disait que s'il n'avait pas été cinéaste il aurait aimé être marin pêcheur, ou encore que le premier film qu'il a vu enfant (en tout cas, dont il se souvient), c'était un Laurel et Hardy — il a oublié le titre, le film c'est Bons pour le service (Bonnie Scotland) — et la fameuse scène où nos deux compères font cuire dans une chambre un gros poisson à l'aide d'une bougie placée sous la grille du sommier (le poisson finit ratatiné, réduit à la taille d'une sardine), une scène qui l'avait tellement fait rire qu'il en avait mangé ses gants! (le Laurel et Hardy on peut le voir — la scène commence à 21'42)
Tout ça pour dire que chez Rozier, la mer, les îles, les vacances, de la Corse d'Adieu Philippine à l'île d'Yeu de Maine Océan en passant par Orouët et l'île de la Tortue, sont non seulement associées à un moment joyeux de l'enfance (Laurel et Hardy), ainsi bien sûr qu'au goût du large, au sens buissonnier et "gentiment anarchiste" du terme (le burlesque), mais plus encore à un désir particulier, celui qui consiste à travailler, mieux: cuisiner (avec ce que cela suppose d'artisanal) un matériau (là un poisson, ici une scène) qu'on a soi-même capturé (la "prise"). Vision autarcique (le mythe de l'île déserte), "defoesque" (la robinsonnade des Naufragés de l'île de la Tortue), comme aspiration à un autre mode de vie, un autre mode de jouir, pseudo sauvage, la vie loin de la société, en prise directe avec la nature, mais dont il apparaît au final qu'elle n'est qu'illusion, tant sa mise en pratique semble vouée à l'échec: le repas préparé par Menez se révèle un fiasco, certes parce que le poisson est trop cuit mais surtout parce que les filles, fatiguées et sans envie, n'ont plus faim, douce mélancolie précipitant le clash du lendemain.

Rozier roses et rosaces... (rosarum rosis rosis)

Coller et non couper. "(...) Il y a de ça dans le travail de Jacques Rozier, tel que ses films le laissent à voir: une sorte d'argument du pari, une forme de croyance, paisible mais absolue, en la matière même du film qui fait que le travail consiste dès lors moins à enlever qu'à tenter des agencements, des combinaisons, images et sons, paroles et musiques, visages et paysages, temps et tempi... C'est cette recherche, avec toute sa part d'aléatoire, qui explique sans doute la lente maïeutique dont procède chacun des opus de J.R., mais aussi, à l'arrivée, leur grâce, leur fragilité météorologique, leur respiration tremblée." (Hervé Le Roux, "Couper n'est pas coller", Jacques Rozier, Le funambule, 2001).

On pourrait dire aussi: couper (quand même, oui un peu) pour mieux "recoller" et faire proliférer l'ensemble... Comme on fait des boutures.