juin 21, 2024

Le camion


  Le Camion de Marguerite Duras (1977).

C'est quoi ce film? Un homme (Depardieu), une femme (Duras), un camion (marque Saviem). Le bleu du Camion. Avant le rouge du Navire Night, le blanc d’Agatha, le noir de l’Homme atlantique... Pour Fargier, un film de science-fiction: "la Terre vue d’un vaisseau cosmique." Un poids lourd (trente-deux tonnes) en apesanteur. Image même de la mélancolie. "Ç'aurait été un film C'est un film." Un film qui devait être le dernier. La fin du cinéma, la fin de la politique, la fin du cinéma de la politique, la fin du cinéma du cinéma. La fin de la fin... "Que le monde aille à sa perte!" Et, pour Duras, de l'accompagner dans sa perte. Sauf que le monde a survécu. Comme le cinéma, il a continué de survivre à sa propre fin. A l'image du camion traversant les mêmes lieux, repassant aux mêmes endroits, le film n’en finit pas de boucler la boucle. "La mer était loin, mais très forte". Le film aussi. Si loin, si fort, que l’écho porte encore. Le revoir aujourd’hui est un choc. Comme un point de non retour qui ferait retour. D’abord le ravissement: Duras et Depardieu dialoguant autour d’une table. L’incarnation à l’état pur. Puis l’effroi: le sentiment terrible que ce que je vois là (le portrait des voix), que ce que j’entends là (la musique des images), est fini pour toujours. Le sentiment que ce cinéma-là, différent — et pourtant capable à l’époque d’occuper, momentanément mais d'occuper quand même, le centre du cinéma —, n’existe plus et n’existera plus jamais. Revoir le Camion aujourd'hui c'est mesurer avec claire-voyance — "Vous voyez? Oui, je vois" — la distance (intersidérale) qui sépare le cinéma de Duras, douloureusement "déclassé", cinéma de la parole (celle du texte) et de la blancheur (celle du sens), de tous ces films à la mélancolie plombante qui abreuvent nos écrans. Revoir le Camion c’est se dégager des grands fonds embourbés de la mélancolie pour accéder à une sorte d'au-delà mélancolique. C’est refaire, tout simplement, le trajet du sublime.