Trap de M. Night Shyamalan (2024).
Un cœur pris au piège.
Trap, c'est du De Palma en mode mineur (De Palmito) pour ce qui est de la partie concert et du pur Shyamalan pour ce qui est de la ligne même du film, dorénavant réduite à sa plus simple expression (simpliste diront les mauvaises langues), et sans twist (qu'il soit vrai ou faux), à savoir comment sortir du piège (trap) qu'a tendu ici la police au héros: un serial killer, surnommé le Boucher, au demeurant bon père de famille (et aux allures de "Superman"), qui accompagne sa fille — la petite actrice est géniale — au concert de son idole (un concert géant: 30000 spectateurs dont 3000 hommes et parmi eux le tueur). On notera que le film se passe, comme il se doit, à Philadelphie, même s'il a été tourné au Canada, ce que le cinéaste, qui tient le rôle du spotter, ne cherche même pas à cacher, signe que la crédibilité n'est vraiment pas essentielle chez lui (à l'instar de son maître, Hitchcock pour ne pas le nommer), jusqu'à s'en moquer ouvertement. Le film est littéralement, volontairement, incredible, ce que ressentira tout du long la fillette (en même temps que le comportement "bizarre" de son père), ce qu'exprimera aussi à sa manière le vendeur de T-shirts, en guise de conclusion, lors du générique de fin.
Reste que l'intérêt n'est pas tant non plus dans le suspense (en termes de tension, excepté la dernière partie, une fois le concert fini), fait de micro-événements, que dans le plaisir pris par Shyamalan à consteller son intrigue de ces petits détails (un employé trop bavard, un talkie-walkie qui traîne, le choix de la dreamer girl...) qui permettent au héros de trouver "sur le champ" — en fonction des situations — des solutions à son problème, autrement dit d'empêcher que le piège, supervisé par une profileuse (qui fait écho à la mère du monstre, ce n'est pas le plus intéressant du film), se referme sur lui.
Il y a une réelle jubilation dans la façon dont Shyamalan rythme son film, en phase avec les chansons de la popstar, interprétée par sa propre fille Saleka, elle-même chanteuse de RnB. OK, les mauvaises langues (les mêmes) diront que Saleka ce n'est pas Taylor Swift et encore moins Beyoncé, en quoi elles n'auront pas tort, et que Trap, eh bien c'est pareil, c'est du thriller bas de gamme, en quoi, là, elles auront tort parce que confondant bas de gamme et ce qui constitue aujourd'hui l'esthétique shyamalanienne: un art du bas, situé "sous la portée". Avec cette impression que la mise en scène, largement louée chez Shyamalan à ses débuts, soit devenue purement télévisuelle, alors qu'elle est bien là, mais quasi invisible puisque... sous la portée (ce qui j'en conviens, pour les amateurs de grande forme est toujours décevant).
Sur le champ et sous la portée, c'est ça dorénavant le cinéma de Shyamalan:
— sur le champ, c'est-à-dire qui relève de l'instantanéité, sinon de l'improvisation, à l'image donc des décisions que doit prendre le héros, à l'image, plus généralement, des derniers Shyamalan, tous marqués par un présent de plus en plus intense, puisque saisi dans l'urgence (le vieillissement accéléré dans Old, le choix du sacrifice pour interrompre l'Apocalypse dans Knock at the Cabin), et d'autant plus intense que ça se passe sur une courte période et dans un espace réduit, véritable huis clos (exemplairement le local où a été enfermée la victime du Boucher).
— sous la portée, c'est-à-dire qui relève d'un dénuement, celui du réel auquel Shyamalan se confronte aujourd'hui sur des bases très conceptuelles (un lieu, une situation...), riches des possibilités qu'elles offrent au départ (en termes de récit), et qu'on trouvera pauvres par l'exploitation qu'en fait le cinéaste, en fait pas pauvres du tout dans la mesure où elles ne constituent que l'écrin narratif dans lequel se situe le cœur du film. Et dans Trap, ce cœur n'est pas tant le piège tendu au héros que l'incroyable violence émotionnelle que va vivre durant la soirée la petite Riley (de la rencontre — oh my god! — avec celle qu'elle idolâtre, comme toute bonne fan, à cette autre rencontre, annulant en quelque sorte la première, mais peut‐être insuffisamment mise en avant par Shyamalan, du côté de la fillette, si on considère le choc que devrait représenter une telle révélation: le vrai visage du père, plus exactement son autre visage, dissocié de celui du gentil papa). Toute la beauté du film est là.